11 mai 2015

Vers Proxima du Centaure en 80 000 ans ? Pas si sûr...

Proxima Centauri. Crédit : Hubble Space Telescope


Récemment au cours d'une soirée publique sous les étoiles, une personne me demande combien de temps il faudrait pour se rendre en vaisseau spatial vers l'étoile la plus proche (Soleil non compris).
Comme par réflexe, je cite le chiffre communément admis (ici, iciici, ici, ici et puis ici, et là aussi) que le vaisseau le plus rapide qu'on ait construit jusqu'à présent mettrait environ 80 000 ans pour atteindre Proxima du Centaure.

Le calcul n'est pas très compliqué.
Le vaisseau ayant la plus grande vitesse d'échappement que l'Homme ait construit et envoyé dans l'espace est pour l'instant la sonde Voyager 1. Elle file vers le fond du système solaire (en étant passée par Jupiter et Saturne) et tend vers une vitesse de 60 000 km/h. Elle était beaucoup plus rapide au départ, mais sa vitesse décroît à mesure qu'elle s'éloigne du Soleil.




Vitesse de Voyager 2 en fonction de son éloignement au Soleil (courbe rouge) Credit: Cmglee, Wikipedia)
Vitesse de New Horizons en fonction de son éloignement au Soleil. Credit : JHU mission design document by Guo & Farquhar

On voit ici sur 2 graphiques représentant les vitesses de Voyager 2 et New Horizons que la vitesse des sondes tend asymptotiquement vers une valeur minimale qui est peu ou prou atteinte en quelques dizaines d'unités astronomiques.
Compte tenu des durées mises en jeu, nous allons considérer que notre sonde atteint rapidement (quelques dizaines d'années) sa vitesse limite au regard du temps de parcours (plusieurs dizaines de milliers d'années). Je n'ai pas trouvé le diagramme pour Voyager 1, mais il est similaire à ces deux-là et sa vitesse asymptotique est légèrement inférieure à ce qu'elle est aujourd'hui, soit pour simplifier les calculs environ 60 000 km/h.

Proxima du Centaure est une étoile naine rouge située à 4.24 années-lumières du Soleil. Etant donné qu'une année-lumière (distance parcourue par la lumière en un an) vaut 9 460 000 000 000 km, ça nous met Proxima du Centaure à 40 110 400 000 000 km (40 000 milliards)
Divisons par 60 000 et nous obtenons le nombre d'heures que prendra le voyage : 668 506 667.
Redivisons encore par 24 pour obtenir le nombre de jours de voyage : 27 854 444.
Divisons enfin par 365.25 pour obtenir le nombre d'années, et cela fait 76 261.
80 000 ans de voyage est donc plutôt un bon ordre de grandeur.

Une telle durée rend le voyage extrêmement compliqué. D'une part parce qu'il faut une technologie capable de tenir dans l'espace pendant tout ce temps, mais aussi parce qu'à cette distance, il se passe 8 ans et demi entre l'envoi d'un ordre depuis la Terre et la réception de la réponse de la sonde (2 x 4.24 ans).

Mais il y a une chose que l'on oublie généralement en faisant ce calcul : la distance Soleil-Proxima n'est pas fixe dans le temps.
Des étoiles passent dans notre voisinage, parfois très près comme l'étoile de Scholz puis s'éloignent. Le système d'Alpha du Centaure ainsi que Proxima n'échappent pas à la règle.
Sur le graphique ci-dessous, on voit l'évolution de la distance des étoiles les plus proches au Soleil. En ce moment (abscisse = 0), c'est bien Proxima la plus proche.

Crédit : Wikipedia


Supposons maintenant que nous lancions, dès demain, une sonde aussi rapide que Voyager 1 en direction de Proxima, que se passerait-il dans 80 000 ans ?
La sonde aura bien parcouru 4.24 années-lumières, mais Proxima et tout le système d'Alpha du Centaure se sera éloigné du Soleil de 2.3 années-lumières supplémentaires.
Résultat des courses : au bout de 80 000 ans de voyage, la sonde n'y est pas.
En fait, si on regarde la courbe d'éloignement de Proxima du Centaure, on remarque qu'il s'agit un polynôme de degré n > 1. Vraisemblablement une parabole, mais si c'est un degré 4 ou 6, ça ne change pas grand chose au problème. Maintenant si on trace la courbe d'éloignement de notre sonde, qui est une droite (vitesse constante), on remarque qu'elles ne se croiseront ... jamais. Notre sonde lancée à 60 000 km/h ne peut pas atteindre Proxima du Centaure. Jamais. Car à un moment donné, l'étoile s'éloigne de nous plus vite que la sonde.

Superposition de la courbe d'éloignement d'un vaisseau à 60000 km/h et des courbes d'éloignement des étoiles proches.


Alors comment faire pour rejoindre un autre système solaire ?
1) Compte tenu que certaines étoiles se rapprochent de nous, on pourrait en viser une qui est aujourd'hui loin, mais compter sur le fait qu'elle se rapproche pour la croiser quelque part à mi-parcours. Mais quand on regarde encore une fois le graphique avec les courbes d'éloignement des étoiles et de notre sonde, on remarque qu'elles ne se croisent jamais.
2) La solution la plus évidente reste d'aller plus vite que 60 000 km/h, pour atteindre Proxima du Centaure (ou une autre étoile) avant qu'elle ne nous fausse compagnie.
Une idée pourrait être de rejoindre Proxima du Centaure dans 28 000 ans, quand elle ne sera qu'à 3.2 années-lumières de nous. On minimiserait la distance parcourue. Mais pour faire ces 3.2 années-lumières en seulement 28 000 ans, il faudrait que la sonde se déplace à la vitesse de 123 000 km/h. Une vitesse de croisière que l'on n'atteint pas encore dans l'espace.

En résumé, au lieu de dire :
"Avec les moyens actuels il faut 80 000 ans pour se rendre sur l'étoile la plus proche"

il faudrait plutôt dire :

"Avec les moyens actuels, on parcours une distance équivalente à celle séparant le Soleil de Proxima du Centaure en 80 000 ans environ"

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