16 mars 2016

Une planète géante entrée dans notre système solaire ?


Depuis un peu plus de 15 ans que je traîne sur Internet, des tas de sites s'amusent à faire peur à leurs lecteurs avec des prophéties astronomiques, les répétant tous les 2 ans puisque la précédente ne s'est pas produite.
Parmi les histoires qui reviennent sans cesse, on trouve l'idée qu'une planète géante (ou naine brune, ou naine rouge, bref un truc plus ou moins gros), est rentrée dans le système solaire interne (entre le Soleil et Jupiter) et s'apprête soit à percuter la Terre, soit à perturber son orbite. En tous cas, elle va foutre un joyeux bordel dans le secteur.
Les gourous qui annoncent ce genre de choses rapportent des observations de l'objet en question, sans jamais être foutus d'en donner les 6 paramètres orbitaux, ce qui est pourtant la base sans laquelle on ne peut pas situer un objet dans l'espace, ni déterminer sa trajectoire future. Ce serait tellement simple avec une vraie orbite d'aller vérifier "sur place" dans le ciel si toute cette histoire est vraie ou pas. Non, vous n'aurez jamais d'orbite permettant de calculer sa position dans le ciel pour un jour donné.

Mais alors comment pourrait-on repérer cet objet (grosse planète, naine brune) avant la catastrophe annoncée, si toutefois il y avait une part de vérité là-dedans ?

En fait, ce serait super simple à vérifier, si encore une fois toute cette histoire était vraie.

Sur l'infographie ci-dessous, j'ai reporté la magnitude de la plupart des astres majeurs de notre système solaire. Sur l'échelle de gauche est notée la magnitude, de -5 (très brillant) à 20 (très faible). C'est une échelle logarithmique inversée. Pas usuelle pour tout-un-chacun, mais en gros il faut retenir que plus la magnitude est grande et plus l'objet est faible.
Ce qu'il y a d'intéressant est que pour passer chaque palier, on diminue la luminosité d'un facteur 2,5.
Si bien que 5 magnitudes d'écart représentent un facteur 100 en luminosité.


L'étoile la plus brillante du ciel, Sirius (magnitude -1,5) se fait dépasser dans certains cas par Mercure, Jupiter, Mars et Vénus. L'étoile Véga, prise par définition comme référence de l'échelle des magnitudes, est à 0.

Alors pourquoi est-ce que je passe par ce graphique ?
Tout simplement parce que si une planète (une naine brune, une naine rouge, ...) entre dans le système solaire, elle va nécessairement avoir une certaine magnitude (éclat), combinaison de sa taille, son albédo et sa distance. Et qu'en s'approchant de nous, elle deviendra tour à tour plus brillante que Eris, puis plus brillante que Pluton, visible aux jumelles, puis visible à l'oeil nu, puis plus brillante que Saturne, Mercure, Jupiter, Mars et Venus... Et il arrive un moment où un truc de la taille de Jupiter qui croiserait dans le secteur atteindra forcément l'éclat de la Lune (magnitude -12).
Une planète, même de quelques masses joviennes, va réfléchir la lumière du Soleil, comme n'importe quelle planète, fut-elle naine, et ne pourra pas passer inaperçue dans le ciel. En plus, elle sera mobile.

Jetons un oeil à Eris, plus lointaine planète naine du système solaire à 96 unités astronomiques du soleil actuellement.
Position d'Eris par rapport au reste du système solaire... C'est loin ! (Source : JPL)
Elle fait les 2/3 de la taille de notre Lune, donc pas bien grande.
Sa magnitude est de 18.8, avec quelques menues variations en fonction de sa distance à la Terre. Je l'ai déjà shootée par le passé, c'est pas bien brillant, mais pas tellement exceptionnel pour les chasseurs de comètes et d'astéroïdes (amateurs et professionnels).

A cette distance, plaçons-y une planète de la taille de Jupiter, soit un peu plus de 60 fois son diamètre (3600 fois plus de surface réfléchissante), qui essaierait de rentrer incognito. Et je ne parle même pas d'une naine brune ou d'une naine rouge qui seraient bien plus grosses et plus brillantes.
Donc notre simili-Jupiter, située à 96 unités astronomiques, quelle magnitude fera t-elle ?
En vrai le calcul m'importe assez peu, car notre objet sera de toutes façons bien plus brillant que la magnitude 18.8 vu qu'il réfléchit 3600 plus la lumière solaire. Vraisemblablement entre 11 et 13 en fonction de son albédo.

Ce qu'il y a à retenir de ces chiffres, c'est que les magnitudes 11-12-13 sont hyper faciles à attraper pour les astronomes amateurs, même avec de petits télescopes. Et pour les chasseurs de comètes et d'astéroïdes amateurs qui scrutent le ciel sous toutes ses coutures, c'est de la rigolade.
Un objet qui atteindrait la magnitude 16 ne tiendrait pas 10 jours avant d'être attrapé par les professionnels. Les amateurs mettraient un peu plus de temps (moyens moins importants), mais le choperait tout de même assez vite. Or la magnitude 13, c'est 15 fois plus brillant que ça, et la magnitude 11, c'est 100 fois plus brillant. Ce qui en fait donc un objet hyper fastoche à repérer.

Alors on a combien de temps devant nous pour attraper un objet de la taille de Jupiter entrant dans le système solaire et se situant déjà au niveau d'Eris, à 96 unités astronomiques ?

Pour trouver cela, prenons l'exemple d'un objet dont la période de révolution autour du Soleil est de 3600 ans (durée qui rappellera des choses à ceux qui se baladent sur Internet) et qui traînerait ses guêtres de temps en temps dans le système solaire interne. Quel temps lui faut-il pour atteindre notre voisinage ?
A défaut d'avoir de vrais éléments orbitaux (souvenez-vous, "ils" ne les donnent jamais), on va se contenter d'une comète dont l'orbite est fortement excentrique, ce qui l'amènera le plus loin possible du Soleil à son aphélie.
La comète C/2004 F4 (Bradfield) possède des éléments orbitaux semblables à ce possible objet et on peut simuler son orbite sur le site du JPL (Internet Explorer only).

Orbite de la comète C/2004 (Bradfield), dont la période est de 3600 ans. Source : JPL

On trouve assez facilement qu'il faut à cette comète environ 76 ans (!!) pour parcourir les 96 unités astronomiques les plus proches du Soleil.
Mettons donc une planète de la taille de Jupiter sur l'orbite de la comète C/2004 F4 (Bradfield) et elle suivra le même chemin à la même vitesse (la masse de l'objet ne joue pas dans ce calcul *).
Elle sera visible par à peu près tous les astronomes amateurs pendant au moins 76 ans avant d'arriver dans notre voisinage, le tout en voyant sa magnitude augmenter sans cesse au cours de ces 76 ans.

Tout simplement impossible de se faire surprendre !
Et là encore, il ne s'agit que d'un objet de la taille de Jupiter. Une naine brune serait beaucoup plus brillante à tous les stades de son trajet.
On peut retourner le problème dans tous les sens, en faisant par exemple varier l'excentricité de l'orbite, on ne réussira qu'à rendre l'objet plus facile à détecter, ou plus lent à l'approche.

Conclusion de tout cela ?
Le jour où une grosse planète (ou une naine brune) entrera dans le système solaire pour y faire un bout de chemin, vous serez avertis par les astronomes professionnels (si si) et par les amateurs au moins une centaine d'années à l'avance. Et elle sera observable (et observée) pendant tout ce temps.
L'absence d'un tel objet observé en approche depuis 100 ans démontre que cet objet ne peut pas être déjà là, chez nous, tout près. Jusqu'à preuve du contraire, les astres suivent encore les lois de la physique et ne se téléportent pas brusquement à côté de la Terre. Nous sommes donc tranquilles pour encore un paquet d'années.

Ah, et sinon, pour terminer, le sondage du ciel en long, en large et en travers par le satellite WISE a déterminé qu'il n'y avait aucun objet de la taille de Jupiter à moins de 20 000 unités astronomiques du Soleil. Pas 96 comme dans mon exemple ... mais 20 000 ! Nous avons en fait plusieurs millénaires de tranquillité devant nous.


(*) En fait elle joue un rôle négligeable sur la période de la révolution de l'objet. Dans la 3ème loi de Kepler, la masse qui intervient est celle de l'étoile plus celle de l'objet, et la seconde est négligeable vis à vis de la première.

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