Il y a quelques années de cela, j'ai participé à la campagne d'observation d'une étoile aux éclipses un peu particulières. C'est une étoile de magnitude 11 dans la constellation de Céphée. Par conséquent, celle-ci n'est visible ni à l'oeil nu, ni aux jumelles.
Position de l'étoile EE Cephei dans la constellation de Céphée |
Tous les 5 ans et demi environ, la luminosité de cette étoile chute pendant plusieurs semaines. Contrairement aux cas classiques, ses éclipses sont longues, suggérant que l'objet qui passe devant est immense (beaucoup plus gros qu'une étoile) et la baisse de luminosité n'est pas la même à chaque éclipse, suggérant que l'objet n'est pas "solide". La durée de l'éclipse n'est pas non plus la même à chaque fois, et la courbe de lumière de l'éclipse est asymétrique, ce qui signifie que la "chose" qui passe devant EE Cephei voit sa taille, sa forme, son orientation, sa transparence, ou une combinaison de ces caractéristiques-là changer au cours du temps.
La périodicité des éclipses étant par contre très précise, nous sommes donc bien face à quelque chose qui tourne autour de EE Cephei sur une orbite stable.
Depuis 1952, ces éclipses sont de mieux en mieux observées. Ci-dessous quelques courbes de lumières montrant à quel point chaque éclipse fut différente des autres.
(c) Galan & al. https://arxiv.org/pdf/1407.1541.pdf |
Comme j'avais participé avec eux à la campagne d'observation de l'étoile AZ Cas, j'ai naturellement fait partie des personnes sollicitées ici.
J'annonçais même ici le début de la campagne, réalisée pour ma part avec les télescopes en remote de chez Slooh que j'utilise depuis 2012.
Comme on ne savait pas avec précision quand commencerait l'éclipse (alors qu'on savait parfaitement sur quelle date elle était centrée), il fallait commencer assez tôt les observations. Ces observations "hors éclipse" sont importantes car elles permettent également de calibrer les données entre tous les observateurs.
L'équipe d'astronomes avait créé un modèle mathématique du système binaire d'EE Cephei, proposant un disque de poussière en rotation autour d'un petit astre froid, et dont la précession au cours du temps pouvait expliquer les différentes formes des éclipses passées. Avec leur modèle, ils prédisaient qu'en 2014, la baisse de luminosité qui serait constatée serait de 2 magnitudes.
Après plusieurs semaines d'observations, quel fut le résultat ?
243 nuits d'observations ont été réalisées, et compilées sur les courbes de lumière suivantes :
Pienkowski & al : https://arxiv.org/pdf/2001.05891.pdf |
Conclusion : l'éclipse de 2 magnitudes qui a été anticipée n'est pas au rendez-vous. A la place, seulement 0.7 magnitude de différence entre le minimum de l'éclipse et l'état "au repos" de l'étoile (dans la bande verte). Donc c'est cool ! Ça signifie qu'il y a encore du boulot à réaliser sur cet astre :-)
Le détail des observations photométriques et spectroscopiques, les analyses de l'équipe, ainsi que les perspectives pour la prochaine campagne sont compilées dans cette publication dont je suis co-auteur, qui a été soumise au journal Astronomy & Astrophysics en ce mois de Janvier 2020.
Une chouette petite aventure, qui a le mérite de ne pas être terminée. Depuis quelques jours, j'ai recommencé le suivi de cette étoile afin de préparer la prochaine éclipse.
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