Ce Jeudi soir, profitant d'une météo fort clémente mais d'une lune fort présente, j'ai jeté mon dévolu sur un phénomène qui ne craignait pas la lumière sélène : une éclipse mutuelle entre 2 satellites joviens.
Cette observation fait partie d'un programme amateurs-professionnels pour lequel j'avais suivi un atelier l'année dernière à l'Observatoire de Paris.
L'éclipse du soir se passait près du limbe jovien, à 30 secondes d'arcs d'un phare ! Donc pour avoir
du signal sur les satellites sans être noyé par la lumière de Jupiter, il me fallait de la focale pour séparer les protagonistes. Avec mon télescope perso et ses 750mm de focale, c'était perdu d'avance.
Je me suis donc rabattu sur l'observatoire de Geotopia et son RCOS à 2800mm de focale.
Arrivé sur place au coucher du Soleil, j'ai eu tout le temps de peaufiner mes réglages pour l'éclipse de 23h54.
Aux commandes de l'observatoire de Geotopia ce soir pour attraper une éclipse mutuelle de satellites joviens |
Dans l'idéal pour ce genre d'observation il faut :
- Une base de temps fiable au dixième de seconde ou mieux
- Une caméra sensible avec une forte cadence de prise de vue
Mais je n'avais rien de tout cela.
Ma base de temps était fiable à la seconde près et ma caméra (SBIG STL11000) prenait une image toutes les 4 secondes. Le temps de téléchargement de l'image était affreusement long. Si bien que pour le réduire au maximum, j'ai fenêtré ma prise de vue sur une toute petite portion du capteur. Chaque image faisait alors une trentaine de kilooctets. Mais il fallait encore un peu plus de 3 secondes pour en télécharger une sur le PC de commande et lancer l'image suivante.
Avec des poses de 0.2s, Jupiter était complètement saturée et du blooming apparaissait. Mais son éclat ne gênait pas trop Io et Europe et ceux-ci montraient quand même 9000 ADU de signal, ce qui me satisfaisait.
J'avais également besoin d'avoir Ganymède dans mon champ de vision comme astre de comparaison, ce qui donnait le champ de vue suivant :
Les lunes Io et Europe s'éclipsent, vu depuis la Terre, dans 10 minutes. Elles sont maintenant toutes proches |
Alors là l'image est à peu près sympa. Avec le phénomène de scintillation sur des poses aussi courtes, il arrive régulièrement que les astres soient fortement déformés. Mais ça ne gêne pas trop la photométrie.
Finalement, on va observer quoi ?
Lors de l'équinoxe sur Jupiter, le plan des satellites galiléens est vu par la tranche depuis la Terre, si bien que régulièrement, ces lunes passent l'une devant l'autre, l'une dans l'ombre de l'autre et vice-versa. Ce soir-ci, Europe passe devant Io, comme sur la figure ci-dessous. Grâce à son diamètre plus imposant, Io ne disparaît pas complètement.
De gauche à droite ; passage progressif de Io derrière Europe, ou Europe devant Io. |
On ne peut pas mesurer la magnitude de Io qui diminue, car sa trop grande proximité avec Europe nous empêche d'isoler son signal. Donc pour ce genre de manip, on va mesurer la quantité de flux de l'ensemble "Io + Europe" au cours du temps. Et le comparer à une valeur supposée stable, à savoir la quantité de flux renvoyée par Ganymède.
Sur une période d'une dizaine de minutes, Ganymède est supposé stable. Sa rotation propre peut laisser apparaître de tous petits changements d'éclat au fil du temps, mais pas sur 10 minutes.
Avant l'éclipse, le flux "Io+Europe" vaut la somme des flux de Io et d'Europe.
Au plus fort de l'éclipse, le flux "Io+Europe" vaut le flux de Europe + environ la moitié du flux de Io.
Après l'éclipse, le flux "Io+Europe" vaut la somme des flux de Io et d'Europe.
Sur la courbe d'éclipse, les instants importants seront les dates de premier contact, de maximum de l'éclipse et de dernier contact, qui permettront de contraindre les positions des satellites et améliorer leur positionnement dans l'espace.
Ces instants sont plutôt bien connus avant l'expérience, mais en les mesurant au dixième de seconde, les astronomes espèrent découvrir de petites avances ou de petits retards, signes de phénomènes sous-jacents dans le système jovien.
Alors au final, voici la courbe que j'ai obtenue, après 259 images. Après avoir aligné mes images sur Ganymède et placé mes cercles photométriques pour suivre Io et Europe tout en évitant Jupiter, les flux bruts laissent déjà apparaître l'éclipse.
Et en normalisant mon flux (avec Ganymede constante), j'obtiens le profil de cette éclipse :
- un début d'éclipse à 21h53m57s TU
- un milieu d'éclipse à 21h55m36s TU
- une fin d'éclipse à 21h57m14s TU
Le manque cruel de points de mesures ne me permet pas d'être super précis. La prochaine fois, il faudra vraiment de j'ai de quoi faire des images à plus haute cadence. Une telle configuration de Europe qui éclipse Io, il y en aura encore quelques-unes avant la fin de la période des phémus en Août, mais aucune qui ne soit observable dans de bonnes conditions depuis chez moi. Donc celle-ci, je la referai en 2020, au prochain équinoxe jovien :-)
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