28 décembre 2015

Découverte d'une nova dans M33

Après 6 mois de suivi intensif de M33, et après avoir loupé la nova de début Décembre pour cause de mauvais temps aux Canaries, je tiens à nouveau une découverte de nova dans M33.
La précédente datait de Février 2014 et était intervenue juste avant que M33 ne disparaisse dans les lueurs crépusculaires. Ici ça va, elle pourra être suivie tout au long de son outburst.

La voici dans son jus. La mise au point n'est pas géniale, mais finalement ce n'est pas bien grave :


Après avoir méticuleusement vérifié mes images, j'ai posté la découverte ce midi sur le CBAT : http://www.cbat.eps.harvard.edu/unconf/followups/J01335420+3026108.html

Elle fut très rapidement confirmée par une équipe japonaise qui avait tout d'abord posté sa propre découverte de la nova, avant de s'apercevoir que je l'avais fait juste avant. Parfois, il est utile d'aller vite :-)
Depuis, pas mal d'autres amateurs en ont fait une image. L'objet est donc bien réel et il ne lui manque plus qu'un spectre pour savoir de quel type de nova il s'agit.

Je rajoute une petite animation entre une image de référence et mon image du 27/12. On voit bien la différence de qualité entre les deux. La nova est le point qui clignote pas loin du centre de l'image.


19 décembre 2015

Comment déclarer une découverte de supernova ?


ATTENTION : Depuis le 1er Janvier 2016, le tutoriel ci-dessous n'est plus valable pour les supernovae, qui doivent être déclarées sur le Transient Name Server (TNS) de l'UAI. Pour les novae (extra)galactiques, il reste valable.


Pour pouvoir poster une découverte de supernova sur le site de l'Union Astronomique Internationale, il faut tout d'abord être connu de cette instance, et plus particulièrement d'un de ses bureaux.
Le Bureau Central des Télégrammes Astronomiques (CBAT en anglais) est responsable du nommage des supernovae, comètes et novae galactiques. Il maintient une page (TOCP) sur laquelle sont reportés tous les objets transitoires qu'on a bien voulu leur soumettre. C'est sur cette page qu'il faut inscrire toute nouvelle candidate supernova.

1ère étape : S'inscrire au CBAT

Cela se fait via un email à cbatiau@eps.harvard.edu
On explique, en anglais, qu'on veut s'inscrire pour annoncer des découvertes ou poster des suivis, et puis on attend ...
Pas question de s'enregistrer le jour même où on a une candidate à déclarer. Pour ma part, il s'est passé 4 mois entre la demande d'inscription et l'inscription elle-même !



2ème étape : Youpi j'ai une candidate !


Une nouvelle étoile sur un cliché ? Serait-ce une découverte ?
Il faut savoir qu'en règle générale, la réponse à la question précédente est NON. Il y a un certain nombre de vérifications à faire pour ne pas poster n'importe quoi sur la TOCP. L'erreur est humaine, mais la répétition de l'erreur sera mal vue.

L'objet est-il présent sur toutes mes images ?
L'examen des brutes est la première chose à faire. Si l'objet n'est présent que sur une image, c'est perdu. Certaines images pouvant être de moins bonne qualité au sein d'une série, l'objet n'est pas forcément visible sur toutes les images. Mais il doit en tous cas être présent sur la majorité, toujours au même endroit. 
Il faudra donc aligner les brutes entre elles avant l'examen.
On pourra alors éliminer aussi les pixels chauds et les rayons cosmiques.

Est-ce une étoile connue ?
Certaines étoiles variables ou cataclysmiques peuvent être en dehors de notre magnitude limite en règle générale, mais devenir accessibles à la faveur d'un sursaut, ou tout simplement d'un meilleur seeing. On ira donc d'abord vérifier les images d'anciens surveys pour les comparer à nos images.
On pourra choisir le DSS, ou Aladin.
Les images de Hubble pourront dans certains cas montrer à l'emplacement de votre candidate la présence d'une supergéante pourvu qu'elle se trouve dans une galaxie proche.
S'il n'y avait rien sur le DSS et le SDSS à l'emplacement de notre candidate, on passe à l'étape suivante.

Est-ce un astéroïde ?
Quand on dispose de 2 heures de poses, on voit bien si l'objet détecté bouge ou pas. Le premier examen oculaire devra vérifier cela.
Quand on ne dispose que d'un petit nombre d'images, l'objet n'a pas forcément eu le temps de bouger significativement entre les poses. On peut alors vérifier via le Minor Planet Checker si on est en présence d'un astéroïde connu.
Si c'est un astéroïde toujours inconnu (cas extrêmement rare), seule la prise d'images quelques heures plus tard pourra révéler son mouvement.

Est-ce une étoile variable ?
Le Variable Star Index (VSX) répertorie toutes les étoiles variables connues. Il faut y vérifier qu'on est pas en présence d'une étoile variable.

Est-ce une supernova connue ?
Le site de David Bishop répertorie toutes les supernovae actives du moment. Il faut aller y regarder si notre candidate n'a pas déjà été déclarée.
Comme David agrège les découvertes émises à plusieurs endroits, et qu'il dort parfois une heure ou deux, il faut aussi aller regarder sur AstronomersTelegram et la TOCP si notre candidate n'a pas été déclarée il y a très peu de temps.


Quand on a passé toutes ces étapes, on est sur la bonne voie. Reste à déterminer dans quelle mesure les données dont on dispose sont assez solides pour déclarer une découverte.


  • Notre objet est à la limite de détection du télescope ==> Il faut d'autres images, si possible avec un télescope plus puissant.
  • On ne dispose que d'une dizaine d'images sur une seule nuit ==> Il faut d'autres images, si possible avec un télescope plus puissant.
  • Le module de distance présumé de l'astre est incohérent (Ex: une SN de magnitude 14 dans une galaxie à 300 millions d'années-lumière, en prenant Mabsolue=-19 pour la SN) ==> Peut-être une super-découverte, mais qui demande une super-confirmation avec d'autres images.
Dans tous les cas, des images à une autre date et éventuellement avec un autre télescope seront toujours les bienvenues, ne serait-ce que pour vérifier que l'objet ne s'est pas déplacé, et que sa magnitude a augmenté.
Connaître des astronomes amateurs de confiance un peu partout sur la planète aide grandement
Ex : Découverte le 13/11 sur de nombreuses images de Gérard Arlic datant du 11/11, je n'ai déclaré SN 2015ar que le 13/11 au soir après une ultime validation de François Kugel.

3ème étape : La déclaration au CBAT


Muni de ses identifiants personnels du CBAT, il faut se rendre ICI.
Il faut également se munir de :

  • la position de l'objet, avec ce degré de précision : 01h 07m 20.38s +32° 23' 59.8"
  • la magnitude de l'objet à 0.1 magnitude près
  • le filtre utilisé pour l'image qui a servi à calculer la magnitude
  • la date TU au dix-millième de jour :  2015 11 11.7576 = 11 Nov 2015 à 18h11
  • le nom de la galaxie hôte (se référer à Simbad si besoin, le nom n'est pas toujours évident à trouver)
  • la position de l'objet par rapport au centre de la galaxie, en secondes d'arcs.

Pour la position de l'objet et sa magnitude, on pourra utiliser Iris, Astrometrica, ... ou tout autre logiciel capable de donner ces informations.

On se retrouve donc avec un champ à remplir (à gauche du bouton "Submit" ci-dessous) dans lequel il faudra indiquer de manière tabulée l'ensemble des informations nécessaires à la découverte.
J'ai mis une copie d'écran du formulaire avec la valeur que doit prendre chaque caractère en fonction de sa position.


Dans le cas de la découverte de SN2015ar, voici la ligne que j'ai soumise (les espaces sont très importants) :

PSN 2015 11 11.7576*  01 07 20.38 +32 23 59.8  18.8 U   58W  46S  N383      3 2

PSN parce que je suspectais que ce soit une supernova.
2015 11 11.7576 : date de la première image de Gérard sur laquelle apparaît la candidate
01h07m20.38s +32°23'59.8" : position mesurée de la candidate (J2000)
18.8 U : magnitude 18.8 mesurée sans filtre (R comme référence)
58W 46S : la candidate se situe 58" à l'ouest et 46" au sud du centre de NGC 383
3 : nombre de supernovae que j'ai déjà déclarées et qui se sont révélées exactes
2 : nombre de jours séparant les images qui ont permis de déclarer la découverte (11/11 et 13/11)

Toute erreur de formatage engendrera une erreur de soumission.
Si la soumission du formulaire est acceptée, alors la candidate apparaîtra sur la page TOCP avec toutes les autres à confirmer. Elle pourra alors très rapidement être suivie par d'autres astronomes (amateurs ou professionnels).

A partir de ce moment, la découverte est faite, et d'autres éviteront de faire la même. Pour autant, on ne se l'est pas encore attribuée. Seule l'UAI a une petite idée du découvreur car elle sait qui l'a soumise. Mais ce n'est qu'une petite idée car on peut annoncer une découverte faite par quelqu'un d'autre quand ce dernier n'a pas de compte au CBAT.

Il faut donc, en parallèle, envoyer un email à cbattcp@eps.harvard.edu avec du texte expliquant la découverte. C'est dans cet email qu'on explique notamment qui est le découvreur, quel est le matériel utilisé, l'observatoire et tout ce qui peut être utile pour bien identifier l'objet. L'email doit impérativement avoir pour sujet "TOCP discovery observation".

ATTENTION : Pour passer à travers le filtre antispam du CBAT, les emails qui leur sont envoyés doivent être en plain ASCII text. Il faut également que l'email émetteur soit connu du CBAT.

La version longue (et complète) de cette démarche se trouve sur le site du CBAT, ICI en anglais.

Aparté sur le nom du découvreur

Je ne connais pas d'endroit où l'on explique comment attribuer à l'un ou l'autre la paternité d'une découverte. Voici ce que j'applique à titre personnel, via quelques exemples :

Je fais les images, et je trouve un objet sur mes images :

  •  E. Conseil reports the discovery of ...

XXX fait les images, et je trouve l'objet sur ses images :

  • E. Conseil and XXX report the discovery of ...

XXX fait les images, trouve l'objet et me demande de vérifier et soumettre la découverte :

  • E. Conseil reports the discovery by XXX of ...

Le programme TAROT fait les images et je trouve un objet sur ces images :

  • E. Conseil on behalf of the TAROT collaboration reports the discovery of ...

A partir du moment où j'ai utilisé des données d'une autre personne (les images de Gérard dans le cas de SN 2015ar), cette personne a participé activement à l'acte de découverte.
Mais si je ne faisais que valider et soumettre une découverte qu'il a faite, je n'ai pas de raison d'avoir un quelconque crédit dans la découverte. Je ne serais alors que le rapporteur.



Bon ... c'est bien joli tout ça, mais vous avez une candidate sérieuse, bien vérifiée sur plusieurs jours, vous voulez la soumettre et ne pouvez pas attendre 4 mois une réponse du CBAT ? 
Il faut alors contacter quelqu'un qui a un accès au formulaire présenté ci-dessus pour qu'il le fasse à votre place.

14 décembre 2015

SN 2015ar, la suite

Pour une fois qu'une de mes découvertes de SN peut être suivie pendant longtemps, ce serait dommage de s'en priver. Idéalement placée à la tombée de la nuit, SN 2015ar est encore là pour un moment.
Alors niveau météo din ch'Nord, c'est zéro ! 4 pauvres brutes entre les nuages depuis sa découverte le 13/11. Heureusement qu'il y a le remote aux Canaries... Et encore, la saison est vraiment mauvaise là-bas.

Avec Gérard, on arrive tout de même à sortir une belle courbe pour l'instant :
Et les collègues français de SN Aude mitraillent également SN 2015ar, ce qui en fait, si je fais bien mes comptes sur le site de David Bishop, la supernova la plus suivie par les amateurs en 2015.
Joël Nicolas maintient une courbe ici également.
J'ai fait la demande aujourd'hui à l'AAVSO pour pouvoir y soumettre nos mesures. Ils ont été très réactifs !

Du point de vue imagerie, ma collection d'images de SN 2015ar commence à bien s'étoffer. La voici par exemple prise avec le 17" de Slooh, aux Canaries :


Et sur webastro, une version couleur a fait son apparition. Réalisée par Christian Andrzejewski, elle montre la SN bien bleue !


A l'époque où je stressais (un peu) pour avoir de quoi valider rapidement la réalité de cette SN, je craignais qu'ASAS-SN ne mette le nez dessus et la valide avant nous. J'ai donc cherché un peu après coup pour voir à quel point nous avions eu chaud.
Et bien pas tant que ça finalement car ce n'est que le 16/11 qu'elle a été détectée par leurs capteurs.
Nous avions donc un peu moins de 3 jours à disposition. Mais ça, le 13/11, je ne le savais pas ;-)


Tout comme le HST voyait une supergéante à l'endroit où j'ai découvert SN 2013ai, le télescope spatial a peut-être bien imagé le progéniteur de SN 2015ar il y a 20 ans. Ou plutôt son compagnon car pour une supernova de type Ia, le progéniteur est une naine blanche qui attrape de la matière à sa voisine, bien souvent une (super)géante. Et une naine blanche ne se détecte pas à une telle distance.

Il n'est pas rare qu'on parvienne à retrouver des progéniteurs de SN sur des images du HST. Je n'ai pas d'exemple sous la main où ça aurait été possible à 200 millions d'années-lumières de nous. SN 2013ai était à 125 millions d'années-lumières. Vu le signal qu'on voit sur les images, on peut imaginer qu'à 200 millions d'années-lumières, c'est possible aussi.
Dans tous les cas, pile poil au bon endroit, il y a une étoile :-)

Possible présence du compagnon du progéniteur de SN 2015ar sur des images du HST

Il ne reste plus maintenant qu'à suivre patiemment le déclin et la disparition de cette supernova l'année prochaine. Et peut-être d'ici là, en trouver une autre :-)