14 mai 2019

Nova de printemps


Comme je n'ai pas passé trop de temps en début d'année sur la recherche de novae extragalactiques, je n'en ai tout naturellement trouvé aucune :-)
Avec le Soleil qui se baladait dans la constellation des Poissons, M31 était noyée dans sa lueur et impossible à atteindre. Mais fin Avril, elle revient dans le ciel du matin et monte assez haut pour que les télescopes de Slooh puissent la pointer.

Le télescope Slooh Canary Island T2 (T420 F/6.8) ne donnait pas une image folichonne ce 25 Avril au petit matin. Suivi moyen de la monture, étoiles pâteuses et mal mises au point, mention "peut mieux faire". Mais après examen de mes images, j'ai pu noter un p'tit quelque chose qui était apparu à proximité de NGC 206.


En version animée et zoomée, ça donne l'animation ci-dessous. Une étoile apparaît juste à côté d'une autre plus brillante.

Image du jour versus image de référence (mêmes télescopes)

Elle est sur toutes mes images de la matinée. Pas d'astéroïde dans le secteur, pas d'objet connu, pas d'artefact. Elle sera également sur mes images du lendemain.

J'ai annoncé la découverte de cette probable nova via le TNS de l'UAI, et elle porte désormais le nom de AT2019ebb.

On distingue encore mieux, en comparant avec une image du survey PanSTARRS, à quel point il n'y avait rien à l'endroit de cette probable nova auparavant. PanSTARRS descend peinard à magnitude 22/23. L'objet qui a explosé ici a donc fait un bond d'au moins 5 magnitudes.

Mon image versus une référence du survey PanSTARRS


Plus de 2 semaines plus tard, l'objet est toujours là. Plus faible, mais pas encore disparu. Photométriquement parlant, on est proche d'une nova classique de type FeII, mais on attend toujours le spectre qui validera tout ça.
Comme je l'évoquais déjà l'année dernière, les novae d'Avril dans M31 voient rarement venir un spectre.

En attendant, cherchons donc la suivante ;-)





24 février 2019

SN2018evt, la super-supernova

Je vais commencer à faire quelques focus sur des objets en cours d'observation, pour montrer un peu de science "en live". Des observations qui étonnent les astronomes, et qui challengent nos connaissances actuelles. On a beau avoir des modèles bien établis pour plein de choses, il y a toujours des observations singulières qui s'acharnent à ne pas vouloir rentrer dans les cases.
Le premier d'entre eux est SN2018evt, une supernova.

SN2018evt --- (c) E. Conseil, with Slooh.com


SN2018evt (alias ASASSN-18ro, alias Gaia18dwd, mais aussi ZTF18actuhrs) est une supernova découverte le 11 Août 2018 par l'équipe ASAS-SN dans la galaxie MCG -01-35-011.
L'objet était à magnitude 16.5 sur l'image ci-dessous à droite (référence sans l'objet à gauche).

Source: http://www.astronomy.ohio-state.edu/~assassin/followup/asassn-18ro.png


Rapidement un spectre fut obtenu (ATEL 11947) par ePESSTO et l'objet fut catalogué en supernova de Type Ia (supernova thermonucléaire).


Pour une galaxie si petite et pas très intéressante, l'histoire se serait arrêtée là. Ce genre de supernova, lorsqu'elle atteint sa magnitude maximale au bout d'une vingtaine de jours après l'explosion, décroit irrémédiablement jusqu'à disparaître.
Ci-dessous un exemple typique de courbe de lumière de supernova de type Ia (données issues des observations de la supernova SN 2011fe) :


Si elle fait comme toutes les supernovae de type Ia, SN2018evt devrait, après son maximum de luminosité, avoir perdu ~3 magnitudes au bout de 2 mois.
La galaxie hôte de SN2018evt se trouve dans la constellation de la Vierge, près de l'étoile Spica. Dès la fin Août, le Soleil s'approche de cette zone du ciel, et rend impossible le suivi des étoiles dans cette zone.
Ce n'est qu'en Décembre, 4 mois après la découverte de la supernova, que de nouvelles mesures sont à nouveau possibles. On s'attend alors à la trouver au delà de la magnitude 19, quasi éteinte.

Et là ... surprise : magnitude 16.5. ASAS-SN rapporte la chose dans l'ATEL 12325 et s'étonne car la classification spectroscopique de ePESSTO ne correspond pas à la courbe de lumière que l'on observe. L'objet ne suit pas du tout la courbe de luminosité classique d'une supernova d'une Type Ia.


Gaia et ZTF confirment les mesures d'ASAS-SN en Décembre.
Suite à l'appel d'ASAS-SN, le télescope spatial Swift se tourne vers SN2018evt et confirme qu'il s'agit d'une supernova de type Ia à son maximum de luminosité (ATEL 12355).
Là ça devient très intéressant parce que ce maximum ne devrait pas durer depuis 4 mois.
Quel serait le process en oeuvre pour maintenir un tel niveau de luminosité ?

J'ai eu l'occasion de suivre cet objet en Janvier, puis Février 2019 (galerie Flickr) et ... il est toujours à son maximum de luminosité.


De plus en plus étrange cette supernova. Elle a le spectre de quelque chose de connu, mais une courbe de lumière pas du tout compatible avec ce que l'on sait des supernovae de type Ia. Donc clairement, on n'est pas face à une naine blanche qui explose classiquement après avoir attrapé de la matière d'une voisine.

Cet objet qui ne payait pas de mine en Août dernier est finalement tout à fait original et mérite qu'on y passe un peu plus de temps, pour comprendre quelle source d'énergie le maintient à un tel niveau depuis plus de 6 mois.
Et comme on ne pourra pas aller voir sur place ce qu'il s'y passe, il va falloir amasser encore et toujours des photons pour essayer de décrypter cette énigme.

To be continued...


2 janvier 2019

AT2018lcl, la dernière de l'année


Le soir du 30 Décembre, alors que j'examinais les images qui étaient en train d'être prises avec les télescopes de chez Slooh, j'ai remarqué une nouvelle étoile brillante (à l’œil environ magnitude 16) dans la galaxie d'Andromède M31.
Il ne m'a pas fallu longtemps pour obtenir plein d'images supplémentaires pour confirmer que la bestiole était bien réelle.
Aucun astéroïde à cet endroit (en plus l'objet était immobile sur 2h de vues), aucune étoile variable connue, aucune annonce déjà faite pour cet endroit ... Avec une dizaine d'images à l'appui étalées sur 2h, j'avais ce qu'il fallait comme matière pour soumettre l'objet au TNS.
Il s'est donc appelé AT2018lcl.

Cependant il y avait bien dans les archives astronomiques quelque chose de connu à peu près à cet endroit. La nova M31N 2009-09a, découverte en Septembre 2009 par les astronomes amateurs japonais Koichi Nishiyama and Fujio Kabashima, était "à la louche" au même endroit.
Serait-on face à une nova récurrente ?

Pour être sûr de ne pas louper l'affaire, j'écris alors un email à Martin Henze, un astronome avec lequel j'ai déjà eu l'occasion d'échanger sur les novae dans M31, et qui est spécialisé dans les novae récurrentes. Si celle-ci est récurrente, il faut l'alerter immédiatement pour qu'il puisse conduire les études qui vont bien dans les premiers instants de la nova.
Début 2017, Martin avait classifié ma récente découverte de l'époque (M31N 2016-12e) comme étant la 18ème nova récurrente connue dans M31. On attend donc la 19ème :-)

Ça, c'était dans l'urgence de l'instant. Il avait encore le temps de pointer un télescope sur la zone ce soir-là avant que M31 ne se couche.
En allant récupérer des archives de 2009 (celles de Kamil Hornoch avec la flèche jaune ci-dessous), et en comparant ses images aux miennes, je trouve en apparence un très léger décalage de position.



Il faudrait pouvoir utiliser les images brutes de Kamil (plein format et sans compression) pour s'en assurer. A ce stade, je penche quand même pour 2 objets distincts.

Et puis la confirmation spectrale est arrivée dès le 02 Janvier (spectre du 1er Janvier) via l'ATEL 12349. Il s'agit d'une nova de type FeIIb.