17 décembre 2016

Supernovae : Quand l'espace compense le temps

Il y a quelques semaines de cela, j'ai vu passer le tweet ci-dessous et il m'a donné cette idée de post car il me semble que la question posée par Gaia Alerts met en avant quelque chose de contre intuitif : 2 supernovae qu'on voit exploser en même temps dans la même galaxie font-elles un magnifique spectacle pour les éventuelles formes de vie présentes dans ce secteur ?



Traduction : "On voit double ! Gaia a vu 2 supernovae exploser dans la même galaxie. A quoi peut bien ressembler le ciel depuis une planète située entre les deux ?"

En fait, <spoiler>pour la majorité des systèmes planétaires de cette galaxie, les 2 explosions ne sont pas vues simultanément</spoiler>.

Image de Rolando Rigustri montrant la supernova SN2016iae
Source : https://www.flickr.com/photos/snimages/30911219070/


Mais revenons un instant sur cette découverte récente de 2 supernovae dans la même galaxie.
Les 2 supernovae se nomment SN2016iae et SN2016ija, et se trouvent dans la galaxie NGC 1532.
C'est une belle spirale vue de trois quarts.
La première a été découverte le 07 Novembre 2016 par le programme ATLAS (qui cherche des astéroïdes à la base), et la seconde a été découverte le 22 Novembre par Leonardo Tartaglia, un chercheur italien dans une université californienne.
Comme on peut le voir sur son image, et particulièrement celle de droite qui est une soustraction faite entre les 2 autres, il y a deux points noirs distincts, signe de la présence de 2 supernovae sur son image (la nouvelle et celle du début du mois).
De par les observations qui en ont été faites, on sait que la seconde supernova n'était pas visible les 18 et 19 Novembre, et à peine visible le 20 Novembre.
Quant à la première, on ne peut situer la date exacte de son apparition qu'entre le 30 Octobre et le 07 Novembre grâce aux mesures postées sur le site de l'Union Astronomique Internationale. Mais on peut calculer sa date d'apparition probable d'après les observations spectroscopiques qui en ont été faites et il s'agirait du 03 Novembre.

Pour chacune de ces deux supernovae, on a pu calculer leur distance à partir de leurs spectres, lesquels indiquent un redshift (décalage vers le rouge) de 0.004 pour la première et 0.0036 pour la seconde. Le redshift de la galaxie hôte (NGC 1532) vaut 0,003468 et correspond à une distance de 47 760 000 d'années-lumières.
Il faudrait davantage de chiffres significatifs derrière la virgule du redshift pour atteindre une précision de l'ordre d'une année-lumière (ce que l'on ne cherche jamais à faire en pratique).

Les deux supernovae appartiennent bien à NGC 1532.


Voyage à la vitesse de la lumière


Comme vous le savez sans doute, la lumière avance à vitesse constante dans l'espace (~300 000 km par seconde). La distance d'un objet est donc directement proportionnelle au temps qu'a mis sa lumière pour nous parvenir.
Et pourvu qu'ils ne rencontrent rien de super massif sur leur routes, 2 photons partis au même moment dans une galaxie lointaine arrivent au même moment chez nous. (un contre-exemple ici)
Entre NGC 1532 et nous, rien de super massif, donc ça va.


→ Supposons que les deux supernovae explosent exactement en même temps.

Si les deux supernovae sont pile poil à la même distance de la Terre (au jour-lumière près, donc une précision de 1 sur 17.4 milliards), alors nous les verrons apparaître en même temps dans le ciel, augmenter en éclat, puis faiblir jusqu'à disparaître, et tout ceci à peu près de concert.

Si l'une des deux est plus éloignée de nous d'une seule année-lumière (1 sur près de 48 millions), alors sa lumière mettra un an de plus pour nous atteindre. Depuis la Terre, nous verrions d'abord la première exploser, augmenter en luminosité, puis faiblir jusqu'à disparaître. Et pile un an après l'explosion de la première, nous verrions la seconde exploser, augmenter en luminosité, puis faiblir jusqu'à disparaître.
Dans le ciel, les deux événements apparaissent bien distincts.

Poussons le même exemple un peu plus loin. La galaxie NGC 1532 a une certaine épaisseur. Je ne pense pas que cette valeur ait été estimée quelque part, mais si elle est comme pour la Voie Lactée, son ordre de grandeur est de quelques milliers d'années-lumières. Disons 3000 années-lumières.
Mettons l'une de ces supernovae à l'avant de la galaxie (vue de la Terre), et la seconde à l'arrière de la galaxie.
On comprend alors que si les deux explosent en même temps, alors sur Terre les 2 supernovae apparaîtront espacées de 3000 années.


A l'inverse, voir 2 supernovae apparaître en même temps dans une même galaxie ne signifie pas forcément qu'elles ont explosé en même temps. Peut-être, et en général ce sera le cas, que la distance séparant les 2 objets compense exactement l'écart temporel de leurs explosions.

Si elles explosent en même temps, pour les voir apparaître en même temps dans le ciel (le nôtre ou celui d'une autre planète dans une autre galaxie), il faut que l'observateur se situe sur le plan médiateur du segment tiré entre les 2 supernovae (en vert ci-dessous). Ce qui est loin d'être le cas de tout le monde. Seuls les observateurs (point M) situés sur le plan P sont à égale distance de A et de B.


Plan méditeur d'un segment (A et B étant nos 2 supernovae)
Source : http://tanopah.jo.free.fr/seconde/ges3alpha.php

Si elles n'explosent pas en même temps, le plan sur lequel il faudra se situer pour les voir exploser en même temps sera décalé vers l'étoile explosant en second, mais il s'agira toujours d'une petite portion d'univers.


Bref, pour répondre à la question initiale "How would the sky look from a planet in between?" ... la réponse est que pour la plupart des "habitants" de cette galaxie (s'il y en a ), ces 2 explosions stellaires n'auront pas été vues en même temps.
Et pour ceux qui se trouvent entre les deux supernovae, la problématique est la même.

3 décembre 2016

Thomas Pesquet dans la Lune

ISS transitant devant la Lune
(c) Emmanuel Conseil

Depuis son décollage le 17 Novembre de la base de Baïkonour, Thomas Pesquet et la Station spatiale Internationale tournent au dessus de nos têtes, à raison d'un tour de Terre toutes les 90 minutes environ, le tout à 27 000 km/h.
Depuis une dizaine de jours, et pour une bonne partie du mois de Décembre, la Station Spatiale Internationale (ISS) est visible depuis la France en début de soirée. Si on excepte la Lune et Vénus, c'est l'objet le plus brillant du ciel pendant son passage. Et on la repère facilement parce qu'elle bouge vite.

Pour la prendre en photo, ce n'est pas très compliqué. Un appareil photo numérique et un trépied suffisent. Il faut cependant que l'appareil autorise les poses longues, idéalement de plusieurs minutes car l'ISS peut mettre une dizaine de minutes à traverser tout le ciel.

Il suffit alors de commencer la pose juste avant l'apparition de l'ISS et de la terminer quand l'ISS n'est plus visible ou sortie du champ de l'appareil. Comme le champ visé ne bouge pas, au bout de quelques secondes, ce sont les étoiles qui se mettent à filer. Et l'ISS trace sa voie sur l'image, comme ici un passage que j'ai capturé le 04/10/2016 sur une pose de 4 minutes.

Des sites comme Heavens Above ou Calsky permettent de connaître les heures de passage de l'ISS pour un lieu donné. Ensuite, il n'y a plus qu'à repérer la zone d'apparition de l'ISS dans le ciel (avec une carte du ciel par exemple) et attendre l'heure fatidique.

ISS le 04/10/2016 (c) Emmanuel Conseil

Ce 03 Décembre 2016, en début de soirée, Calsky m'annonçait un passage de l'ISS devant la Lune pour 19h08. Ca arrive de temps en temps, et c'est une observation plutôt sympathique à faire.
Notre spationaute français Thomas Pesquet étant en ce moment dans l'ISS, c'était l'occasion de le propulser (virtuellement) dans la Lune, lieu que tout astronaute/spationaute/cosmonaute/taïkonaute rêve de fouler.
Et puisque Thomas rêve aux futures missions vers Mars, les choses étant décidément bien faîtes, Mars rodait également dans les parages, offrant avec la Lune, Vénus et l'ISS un splendide quatuor à observer.

Trajectoire de l'ISS le 03/12/2016 vers 19h10
Source : www.calsky.com
Trajectoire de l'ISS devant la Lune à 19h08
Source : www.calsky.com

Après quelques minutes heures de préparation (inspection du matériel, revue des horaires, choix des cadrages, installation de poste, enfilage de doudoune) vient le moment de l'attente... toujours trop longue. Heureusement que Mars, Vénus et la Lune assuraient le spectacle ce soir.
Et puis l'ISS arriva, à l'heure prévue...

Sur cette pose longue, l'ISS semble traverser la Lune, alors que les étoiles filent à cause de la rotation de la Terre. Sur une quarantaine de secondes, c'est quand même bien visible.

Et pendant qu'un APN shootait l'ISS en grand champ, un autre accroché sur le télescope faisait une vidéo du transit.



Alors l'ISS ne passe pas devant la Lune pour tout le monde en même temps. Il faut être sur une bande bien définie, comme pour les éclipses totales de Soleil, mais on peut réaliser cette observation plusieurs fois par an pas très loin de chez soi.

Si vous voulez voir l'inverse ; la Terre en direct vue depuis l'ISS, il y a un flux video disponible sur Internet dédié pour ça : ISS HD Earth Viewing Experiment. Si l'ISS est dans l'ombre de la Terre, on ne voit rien, mais dès qu'elle repasse du côté éclairé de la Terre, le voyage devient magique.

Direct de la Terre vue de l'ISS 
Source : ISS HD Earth Viewing Experiment


6 novembre 2016

(164121) 2003 YT1

J'avais un peu zappé le retour de l'astéroïde 2003 YT1 près de la Terre quand une alerte reçue via Twitter me réveilla.
A magnitude 10.8, et présentant une déclinaison tout à fait intéressante pour ma latitude, je ne pouvais pas manquer un peu de photométrie sur ce Near Earth Asteroid.
L'orbite de cet astéroïde l'amène régulièrement près de la Terre, et cette année, c'est suffisamment près pour qu'il atteigne une magnitude abordable pour n'importe quel télescope amateur. Et à cette magnitude, le mien peut faire de la photométrie et récupérer une courbe de lumière.

Le principe de la courbe de lumière, c'est de "compter" les photons reçus d'un objet par unité de temps, et de tracer une courbe de cette quantité en fonction du temps.
Pour un objet non sphérique en rotation, la quantité de lumière reçue change en permanence car l'objet tourne sur lui-même. En traçant cette courbe, on a accès à sa vitesse de rotation, et en en compilant plusieurs on peut même déterminer sa forme.
C'est ce qui est fait avec toutes les observations amateurs collectées par l'observatoire de Genève, et ces observations mènent généralement à des publications.

L'intérêt d'observer 2003 YT1 cette année, c'est qu'il ne repassera pas aussi près de nous avant 2073. Quitte à vouloir des données précises sur lui, autant le faire cette année car je ne suis pas sûr que mon agenda soit dégagé pour 2073 ;-)

Le 31/10 ? Réunion familiale loin du télescope. Astéroïde raté.
Le 01/11 ? Belle couche nuageuse toute la nuit. Astéroïde raté.
Le 02/11 ? Il devrait faire moche toute la nuit. Gros flux de nuages venant du Nord pour gâcher la soirée... Sauf que ... au coucher du Soleil, le ciel est super dégagé et pas un nuage à l'horizon.
Je me dis alors que si je peux avoir quelques images, c'est maintenant ou jamais.
A cette heure-là, pas possible d'aller à l'observatoire de Géotopia, il va falloir sortir le T150. Beaucoup plus petit, moins adapté pour cet astéroïde qui a déjà faibli depuis son passage au plus près de la Terre, mais il vaut mieux un petit peu de données pas géniales que rien du tout.

Et la trouée miraculeuse a duré un peu plus de 2h.

Comme l'astéroïde bouge très vite dans le ciel (c'est dû à sa proximité), au bout d'une heure environ il a fallu recadrer l'image pour continuer à l'observer.
D'où 2 champs différents présentés ci-dessous :

Premier champ de la soirée
Second champ de la soirée
Au centre de l'image de gauche, à 1/3 du bord haut, on peut repérer 3 étoiles formant un triangle équilatéral, qu'on retrouve sur l'image de droite, tout en bas à droite.
Au total, ce sont 116 images que j'ai pu prendre entre les passages nuageux.

Avec tout cela, j'ai pu construire une courbe de luminosité pour cet astéroïde.
La principale difficulté était qu'il se présentait comme un trait, et non un point comme d'habitude, ce qui m'obligeait à avoir de grands cercles photométriques. Et dans ce cas, les étoiles passant à proximité étaient attrapées dans ces cercles, polluant ainsi la courbe finale.
La photométrie full-automatique n'étant pas possible, il a fallu y aller image par image.
Les 4 points très en dessous de la courbe correspondent à de tels cas où je ne peux pas séparer l'astéroïde d'une étoile trop proche.
Courbe de lumière de 2003 YT1. Crédit : Emmanuel Conseil
La courbe présente donc 2 maxima et 2 minima, et la période de rotation est quasiment complète.
Dans la presse scientifique, j'avais trouvé une indication de période de rotation de 2.34h trouvée à partir de données collectées en 2011.
Ici je peux seulement dire que c'est légèrement supérieur à 2.25h. Il faudra d'autres observations pour préciser les valeurs. Et pas mal d'autres astronomes amateurs ont capturé cet astéroïde. On trouve quelques belles prises ici :




19 octobre 2016

01net magazine

Le numéro de la première quinzaine de Septembre de 01net magazine est sorti il y a plus d'un mois, avec un p'tit article qui fait plaisir dedans :-)


01net, à la base c'est un magazine qui traite du high-tech, de l'informatique. Le rapport avec l'astronomie n'était pas forcément flagrant. L'article est pourtant orienté sur la location de télescopes en ligne, comme je le fais avec Slooh. L'objectif était de montrer que depuis son ordinateur, sans sortir de chez soi, on pouvait piloter des machines à l'autre bout de la planète, et pourquoi pas comme dans mon cas, faire des découvertes.

Je connaissais le journaliste depuis Pint of Science 2016, le festival mêlant Science et Bière que j'avais co-organisé à Lille en Mai dernier.
Nous avions convenu d'un rendez-vous "plus tard" pour un article et ça m'était complètement sorti de la tête quand il m'a rappelé début Juillet.

Ca a duré 2 petites heures il me semble pour l'interview puis il a fallu trouver un créneau avec un photographe pour illustrer l'article.
C'est à l'observatoire de Géotopia qu'a été prise la photo. Il a fallu des dizaines d'essais pour trouver le bon angle. Il faut dire qu'il n'y a pas beaucoup de place sous la coupole, et l'objectif grand angle utilisé donne une fausse impression d'espace. Bien sûr, ce n'est pas CE télescope que je pilote de chez moi, mais le prix de l'aller-retour pour les Canaries était un peu dissuasif :-)

Le texte est fidèle à ce que nous nous étions dit. Un tout p'tit truc à corriger cependant :
Dans la phrase "Ce palmarès fait de lui l'un des 20 chasseurs d'étoiles les plus actifs au monde", il faut comprendre que c'est pour l'année 2016. Si on regarde le palmarès des plus actifs de tous les temps, donc en gros depuis le début du 20ème siècle, il y a quelques pointures qui sont passées avant moi :-)

Merci donc à Olivier Lapirot pour cette expérience sympathique !
Expérience qui fut renouvelée quelques semaines plus tard avec "Le Parisien Magazine - Aujourd'hui en France", dont la parution ne devrait plus trop tarder.

20 septembre 2016

3 minutes pour ne plus rien comprendre

Une représentation artistique de la supernova ASASSN-15lh | Beijing Planetarium/Jin Ma


Gros pfffffff de désolation aujourd'hui quand j'ai écouté les Bogdanov raconter n'importe quoi (encore) sur une grande radio, sans que jamais personne ne les reprenne.

Dans leur émission "3 minutes pour comprendre" du 19 Août 2016 sur Europe1, ils déroulent les bêtises à une vitesse impressionnante et montrent une fois de plus qu'ils ne maîtrisent pas du tout les sujets en lien avec l'astronomie.

Cette fois-ci, ils parlent sans jamais la nommer de ASASSN-15lh, la supernova la plus brillante jamais découverte.
Or il se trouve que je suis co-auteur du papier de cette découverte, publiée dans la revue Science. Donc le sujet, j'en ai entendu parler ... un peu. Et du coup ça me révolte d'entendre leurs bêtises.

Tout se passe sur ce podcast affligeant :
http://www.europe1.fr/emissions/trois-minutes-pour-comprendre/les-hypernovas-un-phenomene-venu-des-confins-de-lunivers-2824489

00'13 : "Bonjour à toutes, bonjour à tous"

Y'a rien de faux ici. Ils sont polis et c'est très bien :-)
C'est juste pour marquer le début de leur propos, et voir que trèèès rapidement, ça part en vrille.


00'27 : "Cela s'est passé tout récemment dans le ciel, à la fin du mois de Juin"

Le podcast a été diffusé le 19 Août 2016. ASASSN-15lh a été découverte le 14 Juin 2015, soit plus d'un an auparavant. Outre le fait que le 14 n'est pas tout à fait à la fin du mois de Juin, j'ai comme un doute sur le fait qu'ils aient bien compris quand l'événement s'est passé.
Se pourrait-il qu'ils aient enregistré le podcast pendant l'été 2015 ?
A priori non, car l'annonce de la découverte de ASASSN-15lh date bien de Juin 2015, mais le détail de la découverte, son caractère exceptionnel et les données citées par les jumeaux pendant le podcast n'ont été rendus publics qu'à la publication du rapport scientifique... en Janvier 2016. Et le papier était sous embargo. Donc les détails, ils ne pouvaient pas les avoir avant Janvier 2016, ce qui ne collerait pas non plus avec "tout récemment".

00'32 : "Il est un peu plus de 22h30, nous sommes en 2016. Cette nuit-là, les astronomes du monde entier n'en croient pas leurs yeux".

Donc comme je le disais auparavant, vu que l'explosion a eu lieu au printemps 2015, la surprise en 2016 avait fait pschittt depuis longtemps. Oh quelle surprise !! Ben non en fait...
Vous noterez au passage la précision de la date : en 2016 à 22h30.

00'41 : "Là où quelques minutes plus tôt le ciel était encore vide, voilà que vient d'apparaître brusquement une étoile nouvelle"

Je suis déjà désespéré... mais courage !
Alors tout d'abord, le ciel n'était pas vide à l'endroit où l'étoile est apparue, on y voyait jusque là la galaxie APMUKS(BJ) B15839.70-615403.9 (l'un des noms les plus abscons qu'il m'ait été donné de croiser, et pourtant j'en ai vu passer). L'étoile est apparue en surimpression de la galaxie. Voici ce que ça donnait ci-dessous avec l'image avant la découverte à gauche, et l'image après la découverte à droite. Le changement est plutôt subtil.

L'image "avant-après" de ASASSN-15lh. Source : http://www.astronomerstelegram.org/?read=7642

Bref, pas de vide avant l'explosion.
Pour le côté "Suuurrprrisse, quelques minutes plus tôt il n'y avait rien", on prend la même source, c'est-à-dire l'annonce de la découverte ici, et on regarde à quelles dates sont prises les images.
L'annonce est faite le 16 Juin, pour une découverte confirmée le 14 Juin. Et on retrouve sur d'anciennes images allant jusqu'au 18 Mai des traces faibles de l'objet. Il n'y a a priori rien sur les images du 15 Mai.
Donc non, le "quelques minutes plus tôt", c'est du flan.

00'48 : "une étoile nouvelle, très brillante, visible à l'oeil nu"

Hey les mecs, ça va ? Plus c'est gros et plus ça passe ?
Voici le graphe de luminosité de ASASSN-15lh, avec la magnitude en ordonnées sur la gauche :

Courbe de lumière multibandes de ASASSN-15lh. Source : http://arxiv.org/pdf/1507.03010.pdf

Les données prises par l'équipe ASASSN qui se rapprochent le plus de ce que verraient nos p'tits yeux sont les points noirs sur la gauche. Ils utilisent un filtre photométrique vert. Comme l'axe des abscisses représente la date, à gauche c'est le début des observations et la découverte, et à droite c'est la fin des observations, ~140 jours après la découverte.
Donc cette étoile a à peine dépassé la magnitude 17.
Je peux vous renvoyer à un autre article dans lequel je présente une échelle de magnitude. A la magnitude 17, soit ~10 fois moins brillante que Pluton qui est déjà bien palote, on ne peut pas "voir" l'étoile à l'oeil nu. Non. Jamais. C'est 25 000 fois moins brillant que ce que nos p'tits yeux arrivent à voir dans d'excellentes conditions.

Quelqu'un qui suit un peu l'actualité astronomique, et de surcroît quelqu'un qui s'y connaît un peu en supernovae, sait qu'on n'en a observé qu'une seule à l'oeil nu depuis 400 ans : SN 1987A en ... 1987 Et elle ne correspond pas à toutes les caractéristiques dont ils parlent là.
Donc parler de supernova observée à l'oeil nu est clairement un signe qu'ils ne savent pas de quoi ils parlent. Même bourré, aucun astronome ne se tromperait à ce point.


00'53 : "Or ce qui est incroyable, c'est qu'elle ne brillera pas plus que quelques minutes".

Or ce qui est incroyable, c'est qu'ils arrivent à faire croire qu'ils y connaissent quelque chose en astronomie.
Au moins avec le graphe du dessus, vous savez maintenant qu'on l'a observée pendant au moins 140 jours. Quelques minutes ... c'te blague !


Et ça ne fait que 45 secondes qu'ils parlent !!


00'58 "avant de s'éteindre pour toujours"

Allez, je leur fais une fleur (suis trop sympa). Ces 5 mots sont corrects. Ce genre de supernova, une fois passée la looongue période de visibilité, s'éteint peu à peu pour toujours.


01'02 : "située à plus de 3 milliards d'années-lumières d'ici"

C'est, entre autres avec la brillance de 570 milliards de Soleils, l'info qui atteste qu'ils parlent bien de ASASSN-15lh, mais sans jamais la nommer. Aucune autre supernova ne correspond à ces deux critères très particuliers qui ont été abondamment repris par la presse l'année de leur podcast.


01'07 : "Cette étoile a explosé avant de former ce qu'on appelle un trou noir".

Il est encore un peu tôt pour dire qu'un trou noir s'est formé. D'ailleurs ce n'est écrit nulle part dans le papier (version gratuite ici). Et pour cause : la nature même de l'objet observé est débattue et le papier propose même des scenarii alternatifs au modèle classique de l'étoile qui explose parce que son coeur s'effondre sur lui-même (chapitre 5 page 9)
C'est un poil technique parce que c'est de la Science toute fraîche, en cours de construction. Donc débattue.
Les Bogdanov croient qu'on est ici en présence d'une grosse supernova de type II. Ben c'est plus compliqué que ça.


01'15 : "Cette étoile est ce qu'on appelle une hypernova"

Toujours à la pointe de la Science, les jumeaux n'auront pas remarqué que le terme "hypernova" n'est plus vraiment usité, au profit des "supernovae superlumineuses" (SLSNe)


01'32 : "Si l'un de ces monstres cosmiques explosait, disons, à moins de 3000 années-lumières de chez nous, et bien en 2 secondes il deviendrait des milliards de fois plus brillant que le Soleil"

On parle bien ici de sa brillance intrinsèque, pas de son éclat dans le ciel. Enfin, j'espère qu'ils le font. A 3000 années-lumière, ce serait super brillant, mais 150 000 fois moins que notre astre du jour.
Le choix des 3000 années-lumière signifie t-il qu'on est en sécurité si c'est au delà ? Parce qu'a priori, rien ne justifie ce choix-là.


02'09 : "Et bien un quart d'heure plus tard toute vie serait carbonisée par la chaleur et les rayons gamma"

Alors certes, ces explosions dégagent de la chaleur et plein de lumière à des longueurs d'ondes pas sympathiques du tout. Du genre, des rayons gamma. Mais ces jets de rayons gamma ne partent pas dans toutes les directions. Ils sont focalisés sur un axe polaire et partent dans 2 directions diamétralement opposées, formant 2 espèces de cônes de lumière. Un peu comme ceci :

Vue d'artiste du sursaut gamma de mars 2008 © ESO PR Photo 28/08
Source : notre-planete.info

Il faudrait que l'un de ces "cônes" soit dirigé vers nous (pas de bol) pour que ça fasse vraiment mal. Et ça ferait vraiment mal. Cf l'excellente vidéo du Sense of Wonder sur les rayons gamma.
Donc être à 3000 années-lumière n'est pas une condition suffisante pour nous cramer.

Et à 3000 années-lumières, notre supernova superlumineuse, elle brille comment dans le ciel ?
En utilisant la formule du module de distance, appliquée à une distance de 920 parsecs (3000 années-lumière) pour une étoile de magnitude absolue -23, on trouve une magnitude visuelle de -13.
C'est beaucoup pour une étoile. On ne la louperait pas dans le ciel, même en plein jour. Ça fait grosso modo l'éclat de la pleine Lune inscrit dans un objet ponctuel (à cette distance, ce n'est qu'un point).
De là à nous carboniser par la chaleur...


02'15 : "Un danger terrible, découvert seulement en 1999".

Alors là je suis contraint de supposer que le "danger terrible" dont ils parlent est "les sursauts gamma", ce qui serait cohérent avec la phrase précédente. Je n'en vois pas d'autre compte tenu de la tournure de la phrase.
Là encore ça coince avec les dates. La vidéo du Sense of Wonder sur les rayons gamma retrace l'historique de leur découverte. Ca commence notamment en 1967. Il y a bien un événement important sur le sujet en Janvier 1999 avec l'observation de GRB990123, mais ça ne constitue pas une découverte du danger des rayons gamma. Donc mystère.



Ensuite un bon coup de SF avec l'histoire du bouclier thermique géant pour se protéger des rayons gamma de "ces monstres" qu'on enverrait dans l'espace, pourquoi pas.



03'00 : "Aucune hypernova ne devrait exploser à proximité avant au moins 1000 ans"

L'étoile Eta de la Carène est la plus proche parmi les candidates au très gros boum stellaire "à proximité" de nous. Des candidates à la supernova classique, il y en a d'autres, plus proches, mais quand même suffisamment loin pour qu'on soit en sécurité.
Il n'est pas encore possible de prédire avec précision le moment où une étoile explosera. Au mieux, on arrive à déterminer la chose avec quelques millions d'années d'incertitude. Ce qui est assez peu au regard de la vie des étoiles, mais terriblement long de notre point de vue de terriens. Celles pour lesquelles on sent que la fin est proche (Eta Carinae ou Bételgeuse par exemple) peuvent exploser n'importe quand entre maintenant et dans 10 millions d'années. Mais à ce jour, je ne connais personne qui ait "calculé" qu'on était peinards pour le prochain millier d'années.
Eta de la Carène a failli y passer en 1843, et pourrait remettre le couvert n'importe quand avant l'an 3016... ou pas ... en vrai, on en a aucune idée.


Epilogue

Au final, ça s'appelle "3 minutes pour comprendre" et ça porte bien mal son nom. Et ce n'est pas leur seul fait d'arme, loin de là.

J'ai remarqué qu'aujourd'hui, Florence Porcel en avait rajouté une couche sur une autre de leurs prestations sur Europe1 ici. C'est rigolo et didactique, au moins on apprend des choses. Et encore je la trouve sympa, elle ne révèle que les plus grosses âneries. Y'aurait moyen d'en dire plus sur ce podcast.



Quand on cherche de bonnes sources d'information en français sur l'astronomie (et sur cette étoile en particulier), on peut consulter par exemple le blog "Autour du ciel" de Guillaume Cannat.
Pierre Barthelemy, le "Passeur de Sciences", fait aussi de l'excellent boulot sur son blog.
Il y a aussi le Dr Eric Simon, toujours très didactique sur son blog www.ca-se-passe-la-haut.fr
Je ne vais pas pouvoir citer tout le monde, mais on trouve aussi des vidéastes comme Florence Porcel, déjà citée, et sa Folle Histoire de l'Univers, ou le Sense of Wonder (déjà cité plus haut).


Alors que les frérots parviennent à multiplier les âneries en 3 minutes, Guillaume, Pierre et les autres ne font pas d'erreur sur des articles bien plus longs, sans pour autant retirer toute la beauté des choses du ciel. Bref de l'info sans fioritures ni âneries.



EDIT du 19/05/2020 :

En fait, le texte de leur chronique ci-dessus est quasi intégralement repompé dans un de leurs livres. Qui du livre ou de la chronique radio est arrivé en premier ? Pas bien clair. Ils ont juste changé une date et quelques chiffres et hop, deux fois la même histoire. Mais dans le livre aussi, une grosse supernova le 03 Avril 2003 à 10h37 ... ben ... y'en a pas. Ni à 10h37, ni ce jour-là, ni la veille ou le lendemain. Ça aurait été tellement plus simple de donner son nom pour qu'on la retrouve. Il n'y a eu que 4 "hypernovae" en 2003, et SN2003dh, dont l'apparition date du 29/03/2003 est une bonne candidate à l'entourloupe étant donné toute la littérature qui existe sur cet objet. Mais toujours pas visible à l'oeil nu, loin de là. 
Bref c'est tellement n'importe quoi que ce qu'ils écrivent est invérifiable pour le commun des mortels.

Ça donne un aperçu de leur manière de travailler, à l'opposé de ce qu'est la méthode scientifique. Ça ne remplit pas non plus les critères d'une bonne vulgarisation scientifique.

6 septembre 2016

Astro au camping

L'endroit est plutôt inhabituel : un coin de pelouse, un champ de blé, des moissonneuses batteuses, et au milieu de tout ça : un type avec un télescope.


C'était il y a 3 semaines. J'ai passé 12 jours en camping à la Ferme de Prunay, où nous commençons à avoir nos habitudes. Un camping à la ferme pour se changer les idées, prendre un grand bol d'air, et distraire les enfants.
Et quand je vais à la ferme de Prunay, je n'oublie pas de prendre mon télescope ! Il n'est pas trop grand et se faufile assez facilement dans la voiture.

A la base, je le prenais pour faire de la photométrie et profiter des nuits qui commencent à rallonger pour faire un peu de Science.
Mais en fait, mon APN n'est pas sorti de sa boîte. A 6 reprises, j'ai installé mon télescope près du feu de camp où se réunissaient les vacanciers, et je leur ai montré les étoiles et les planètes.


Il faut dire que Saturne, en reine du soir, a épaté tout le monde. Moi le premier :-)
Le ciel était super stable et j'ai pu pousser le grossissement jusqu'à 187x. On distinguait évidemment très bien les anneaux, mais aussi des différences de couleur dans l'anneau. Et puis quelques satellites de Saturne.

Mars n'était pas en reste, et son disque orangé, bien que petit et éloigné, a ravi tout le monde.

Ce que j'adore avec ce genre de soirée au camping, c'est papoter avec les gens. Devant un tel spectacle, tout le monde est émerveillé et les langues se délient.
Que ce soit en français, en anglais ou en néerlandais, "Ouaaaaaah" se prononce de la même façon (bien que les écritures varient). Et j'en ai eu des "Ouaaaaaah" ! Et énormément de remerciements.
J'avais l'impression de leur avoir apporté quelque chose. Dans le camping, j'étais le "guy with a telescope" :-)


Je leur ai montré Vénus, Jupiter, Mars et Saturne alors que le Soleil était à peine couché. Surprise ! Elles sont déjà là !!
La Lune en très gros plan, ça vaut le détour aussi et au final, c'est surtout ça qu'on me demande.
Des étoiles filantes, nous en avons vu plein. Des satellites, des iridiums, ... le ciel est soudain devenu dynamique pour toutes ces personnes qui regardaient si peu en l'air la nuit.

Bon, et puis j'avais quelque chose à fêter pendant ces vacances :

25 ans, ça commence à compter, et j'ai tout simplement eu envie de me replonger dans l'astronomie de mes 12 ans... contemplative. De mesurer le chemin parcouru et de rêver à la suite.


Liste des découvreurs de supernovae français

Christian Pollas, découvreur de supernovae
Source : http://www.cala.asso.fr/?Wetal08-les-photos

Ca me taraudait depuis quelques temps de faire la liste de mes illustres prédécesseurs dans le domaine de la recherche de supernovae. Je les connaissais pour la plupart, mais n'avais pas encore eu l'occasion de les lister.
Les listes de découvreurs de l'UAI sont bien pratiques(1)(2). Cependant, avec juste un nom de famille, il n'est pas possible de déterminer la nationalité des gens.
Donc je me les suis farcis ... tous ! Heureusement, les mêmes noms reviennent souvent :-)
Ca prend un peu de temps, mais au final j'ai retrouvé ceux que je connaissais, et découvert de plus anciens dont je n'avais pas eu vent.

Les voici triés par date de première découverte

Nom Statut Nombre de SNe découvertes Période d'activité*
Christian Pollas professionnel 100 1955-2007
Charles Bertaud professionnel 1 1963
Alain Maury professionnel 3 1988
Georges Comte professionnel 1 1988
Eric Thouvenot amateur 1 1990
Christian Buil amateur 2 1992-1996
Jean-François Le Borgne professionnel 1 1995
Denis Christen amateur 1 1997
Pierre Antonini amateur 2 2000-2001
Robin Chassagne amateur 14 2000-2003
Alain Klotz professionnel 10 2002-2012
Jean-Marie Llapasset amateur 1 2003
Stéphane Blondin professionnel 19 2004
Joël Nicolas amateur 1 2007
Emmanuel Conseil amateur 8 2013-2020
Damien Turpin professionnel 1 2013
François Kugel amateur 1 2015
* Période pendant laquelle ils ont trouvé des supernovae. Ils sont presque tous encore actifs du point de vue de l'astronomie.

Elle est quand même très masculine cette liste...
Williamina Fleming fut la première femme a découvrir une supernova. C'était en 1895, et c'était la 3ème découverte de SN de l'ère moderne. Depuis il y a eu d'autres découvreuses, mais on attend a priori toujours la première française.


Si à la lecture de ce tableau un découvreur français de SN ne se retrouve pas, ou un découvreur de votre connaissance ne s'y retrouve pas, il faut me le signaler. J'ai pu oublier quelqu'un.

Je ne peux malheureusement pas retrouver les français qui se trouveraient dans des groupes de chercheurs, comme le Dark Energy Survey, le Supernova Cosmology Project, ou encore la High-Z Supernova Search Team, ... qui signent tous leurs découvertes par le nom de leur groupe.

(1) http://www.cbat.eps.harvard.edu/lists/Supernovae.html
(2) https://wis-tns.weizmann.ac.il/

2 août 2016

Découverte de SN2016ekg


Le 28 Juillet dernier, j'ai mis le doigt sur une nouvelle candidate supernova dans les images de Tarot Chili. Elle est située dans la galaxie PGC67803, dans la constellation du Poisson Austral, quelques degrés à l'Ouest de l'étoile brillante Fomalhaut.
L'objet était déjà présent dans les images de la veille, mais je l'avais balayé d'un revers de main car il ne me semblait pas d'aspect stellaire ... un peu trop vite.

Images de Tarot Chili ayant servi à la découverte de SN2016ekg
L'analyse des images brutes ne laissait plus de doute sur le fait qu'un nouvel astre était présent devant la galaxie PGC67803.

Comparaison d'une image de référence du Digital Sky Survey et de la somme de 4 poses de Tarot Chili

Après les vérifications habituelles auprès du TNS, des AstronomersTelegram, ou du site de David Bishop, il était temps de faire le rapport de découverte, sur le TNS justement.
Et quand on poste ses infos autour de minuit, il faut y aller doucement pour ne pas écrire de bêtises :-)
Le rapport est ICI.

Quelques collègues astronomes amateurs sont également allés la visiter, comme Joël Nicolas. Pas facile depuis le sud de la France où l'objet culmine à 13° au dessus de l'horizon Sud, au mieux.


Le spectre de la supernova est arrivé quelques jours plus tard, en provenance du Chili également, via le New Technology Telescope à La Silla. Un joli bébé de 3.58 mètres de diamètre.
Il s'agit d'une supernova de type Ia, une chandelle cosmique, dont le spectre est ci-dessous.
J'y ai ajouté un peu de couleurs pour présenter les raies d'absorption caractéristiques de ce type de supernova. Absence d'hydrogène et d'hélium, et présence de silicium étant les principales caractéristiques de ce genre d'objet.

Spectre de SN2016ekg, par PESSTO

Reste maintenant à faire un peu de suivi sur cet objet, qui devrait culminer en magnitude d'ici 5 ou 6 jours.
Avec une magnitude comprise entre 16 et 16.5, l'objet n'est pas trop compliqué à attraper. Son seul défaut est d'être très bas en France.


20 juillet 2016

Transit de l'exoplanète HD189733b

Après des mois de disette sur le plan des observations à la maison (la faute à une météo absolument catastrophique), cette semaine se devait d'être dédiée à l'astro. Et tant pis si la nuit à peu près noire ne commence qu'à Minuit.
Après 2 soirs de remise en route (bah oui, on s'use à ne plus pratiquer), et surtout la prise en main de mon nouvel APN (Canon EOS 1200D), il fallait bien refaire un peu de Science.
J'avais repéré sur l'Exoplanet Transit Database (ETD) le transit de ma copine HD189733b pour la nuit de Mardi à Mercredi, de 2h à 4h environ. Transit idéal qui me permettrait de tout faire d'une traite, sans subir le retournement de monture qui me cause à chaque fois des trous dans mes courbes (Exemple).
Parce qu'à la base, je n'avais pas prévu d'être à côté du PC pendant la séance. Un paramétrage nickel, et roule ma poule, moi je vais faire dodo :-)

Alors à quoi faut-il faire attention ?
- le suivi de la monture est suffisamment correct pour garder la cible et ses étoiles de comparaison dans le champ de l'APN pendant au moins 3 heures (eh oui, pas d'autoguidage)
- par extension, aucune partie du télescope ne va venir cogner le trépied pendant la prise de vue
- l'étoile va monter, puis descendre dans le ciel. Il faut qu'elle reste non saturée sur le capteur pendant tout ce temps. Idem pour les étoiles de comparaison. Mais il faut qu'il reste suffisamment de signal à traiter quand elles seront proches de l'horizon.
- aucun arbre, toit de maison, trampoline, ... ne cachera la cible pendant sa course dans le ciel
- l'alimentation électrique de tout le bazar ne lâchera pas avant la fin du transit
- les câbles qui relient le PC au télescope ne vont pas s'enrouler (s'étirer et casser quelque chose) à mesure que le télescope accompagne la cible dans le ciel
- il faut lancer suffisamment de poses, et bien faire ce calcul. C'est con, mais une fois j'avais oublié de modifier ce chiffre et je suis parti me coucher en lançant 10 poses... J'avais donc eu 10 minutes de prises au lieu de 5 heures escomptées.


9.1 GigaOctets de données et 5 heures de sommeil plus tard, avec un peu d'huile de coude à la réduction et au traitement des données, la courbe de transit apparaît bien. La planète a mis 109 minutes pour traverser le disque de son étoile (vu depuis la Terre).


Courbe de lumière de mon observation, générée par l'Exoplanet Transit Database
Les données résiduelles (différence entre la magnitude observée et la courbe d'ajustement) sont dans la moyenne de ce que je fais d'habitude. Plus les données se rapprochent de la courbe d'ajustement (en moyenne), et moins la courbe de lumière est bruitée.


Sitôt réduites, les données ont été soumises à l'ETD et viendront grossir la base de connaissances sur cette exoplanète.
L'objectif de ce genre de mesures sur le long cours est de voir s'il y a des dérives constatées dans les transits (longueur, profondeur, date) afin de déceler des éléments perturbateurs de l'exoplanète. Comme une autre planète orbitant pas loin mais ne transitant pas devant son étoile.
Ce travail est effectué par des groupes d'astronomes amateurs sur une base assez conséquente d'exoplanètes disponibles sur le site de l'ETD.
Une activité bien utile, sur de la Science bien actuelle, et qui permet de "voir" des choses que l'astrophoto ne nous montre pas : un ciel dynamique et des mondes qui peuplent notre galaxie.

16 mars 2016

Une planète géante entrée dans notre système solaire ?


Depuis un peu plus de 15 ans que je traîne sur Internet, des tas de sites s'amusent à faire peur à leurs lecteurs avec des prophéties astronomiques, les répétant tous les 2 ans puisque la précédente ne s'est pas produite.
Parmi les histoires qui reviennent sans cesse, on trouve l'idée qu'une planète géante (ou naine brune, ou naine rouge, bref un truc plus ou moins gros), est rentrée dans le système solaire interne (entre le Soleil et Jupiter) et s'apprête soit à percuter la Terre, soit à perturber son orbite. En tous cas, elle va foutre un joyeux bordel dans le secteur.
Les gourous qui annoncent ce genre de choses rapportent des observations de l'objet en question, sans jamais être foutus d'en donner les 6 paramètres orbitaux, ce qui est pourtant la base sans laquelle on ne peut pas situer un objet dans l'espace, ni déterminer sa trajectoire future. Ce serait tellement simple avec une vraie orbite d'aller vérifier "sur place" dans le ciel si toute cette histoire est vraie ou pas. Non, vous n'aurez jamais d'orbite permettant de calculer sa position dans le ciel pour un jour donné.

Mais alors comment pourrait-on repérer cet objet (grosse planète, naine brune) avant la catastrophe annoncée, si toutefois il y avait une part de vérité là-dedans ?

En fait, ce serait super simple à vérifier, si encore une fois toute cette histoire était vraie.

Sur l'infographie ci-dessous, j'ai reporté la magnitude de la plupart des astres majeurs de notre système solaire. Sur l'échelle de gauche est notée la magnitude, de -5 (très brillant) à 20 (très faible). C'est une échelle logarithmique inversée. Pas usuelle pour tout-un-chacun, mais en gros il faut retenir que plus la magnitude est grande et plus l'objet est faible.
Ce qu'il y a d'intéressant est que pour passer chaque palier, on diminue la luminosité d'un facteur 2,5.
Si bien que 5 magnitudes d'écart représentent un facteur 100 en luminosité.


L'étoile la plus brillante du ciel, Sirius (magnitude -1,5) se fait dépasser dans certains cas par Mercure, Jupiter, Mars et Vénus. L'étoile Véga, prise par définition comme référence de l'échelle des magnitudes, est à 0.

Alors pourquoi est-ce que je passe par ce graphique ?
Tout simplement parce que si une planète (une naine brune, une naine rouge, ...) entre dans le système solaire, elle va nécessairement avoir une certaine magnitude (éclat), combinaison de sa taille, son albédo et sa distance. Et qu'en s'approchant de nous, elle deviendra tour à tour plus brillante que Eris, puis plus brillante que Pluton, visible aux jumelles, puis visible à l'oeil nu, puis plus brillante que Saturne, Mercure, Jupiter, Mars et Venus... Et il arrive un moment où un truc de la taille de Jupiter qui croiserait dans le secteur atteindra forcément l'éclat de la Lune (magnitude -12).
Une planète, même de quelques masses joviennes, va réfléchir la lumière du Soleil, comme n'importe quelle planète, fut-elle naine, et ne pourra pas passer inaperçue dans le ciel. En plus, elle sera mobile.

Jetons un oeil à Eris, plus lointaine planète naine du système solaire à 96 unités astronomiques du soleil actuellement.
Position d'Eris par rapport au reste du système solaire... C'est loin ! (Source : JPL)
Elle fait les 2/3 de la taille de notre Lune, donc pas bien grande.
Sa magnitude est de 18.8, avec quelques menues variations en fonction de sa distance à la Terre. Je l'ai déjà shootée par le passé, c'est pas bien brillant, mais pas tellement exceptionnel pour les chasseurs de comètes et d'astéroïdes (amateurs et professionnels).

A cette distance, plaçons-y une planète de la taille de Jupiter, soit un peu plus de 60 fois son diamètre (3600 fois plus de surface réfléchissante), qui essaierait de rentrer incognito. Et je ne parle même pas d'une naine brune ou d'une naine rouge qui seraient bien plus grosses et plus brillantes.
Donc notre simili-Jupiter, située à 96 unités astronomiques, quelle magnitude fera t-elle ?
En vrai le calcul m'importe assez peu, car notre objet sera de toutes façons bien plus brillant que la magnitude 18.8 vu qu'il réfléchit 3600 plus la lumière solaire. Vraisemblablement entre 11 et 13 en fonction de son albédo.

Ce qu'il y a à retenir de ces chiffres, c'est que les magnitudes 11-12-13 sont hyper faciles à attraper pour les astronomes amateurs, même avec de petits télescopes. Et pour les chasseurs de comètes et d'astéroïdes amateurs qui scrutent le ciel sous toutes ses coutures, c'est de la rigolade.
Un objet qui atteindrait la magnitude 16 ne tiendrait pas 10 jours avant d'être attrapé par les professionnels. Les amateurs mettraient un peu plus de temps (moyens moins importants), mais le choperait tout de même assez vite. Or la magnitude 13, c'est 15 fois plus brillant que ça, et la magnitude 11, c'est 100 fois plus brillant. Ce qui en fait donc un objet hyper fastoche à repérer.

Alors on a combien de temps devant nous pour attraper un objet de la taille de Jupiter entrant dans le système solaire et se situant déjà au niveau d'Eris, à 96 unités astronomiques ?

Pour trouver cela, prenons l'exemple d'un objet dont la période de révolution autour du Soleil est de 3600 ans (durée qui rappellera des choses à ceux qui se baladent sur Internet) et qui traînerait ses guêtres de temps en temps dans le système solaire interne. Quel temps lui faut-il pour atteindre notre voisinage ?
A défaut d'avoir de vrais éléments orbitaux (souvenez-vous, "ils" ne les donnent jamais), on va se contenter d'une comète dont l'orbite est fortement excentrique, ce qui l'amènera le plus loin possible du Soleil à son aphélie.
La comète C/2004 F4 (Bradfield) possède des éléments orbitaux semblables à ce possible objet et on peut simuler son orbite sur le site du JPL (Internet Explorer only).

Orbite de la comète C/2004 (Bradfield), dont la période est de 3600 ans. Source : JPL

On trouve assez facilement qu'il faut à cette comète environ 76 ans (!!) pour parcourir les 96 unités astronomiques les plus proches du Soleil.
Mettons donc une planète de la taille de Jupiter sur l'orbite de la comète C/2004 F4 (Bradfield) et elle suivra le même chemin à la même vitesse (la masse de l'objet ne joue pas dans ce calcul *).
Elle sera visible par à peu près tous les astronomes amateurs pendant au moins 76 ans avant d'arriver dans notre voisinage, le tout en voyant sa magnitude augmenter sans cesse au cours de ces 76 ans.

Tout simplement impossible de se faire surprendre !
Et là encore, il ne s'agit que d'un objet de la taille de Jupiter. Une naine brune serait beaucoup plus brillante à tous les stades de son trajet.
On peut retourner le problème dans tous les sens, en faisant par exemple varier l'excentricité de l'orbite, on ne réussira qu'à rendre l'objet plus facile à détecter, ou plus lent à l'approche.

Conclusion de tout cela ?
Le jour où une grosse planète (ou une naine brune) entrera dans le système solaire pour y faire un bout de chemin, vous serez avertis par les astronomes professionnels (si si) et par les amateurs au moins une centaine d'années à l'avance. Et elle sera observable (et observée) pendant tout ce temps.
L'absence d'un tel objet observé en approche depuis 100 ans démontre que cet objet ne peut pas être déjà là, chez nous, tout près. Jusqu'à preuve du contraire, les astres suivent encore les lois de la physique et ne se téléportent pas brusquement à côté de la Terre. Nous sommes donc tranquilles pour encore un paquet d'années.

Ah, et sinon, pour terminer, le sondage du ciel en long, en large et en travers par le satellite WISE a déterminé qu'il n'y avait aucun objet de la taille de Jupiter à moins de 20 000 unités astronomiques du Soleil. Pas 96 comme dans mon exemple ... mais 20 000 ! Nous avons en fait plusieurs millénaires de tranquillité devant nous.


(*) En fait elle joue un rôle négligeable sur la période de la révolution de l'objet. Dans la 3ème loi de Kepler, la masse qui intervient est celle de l'étoile plus celle de l'objet, et la seconde est négligeable vis à vis de la première.

1 mars 2016

M31 2016-02b & SN 2016ajm

Le matin du 14 Février, j'observais attentivement mes images de M31 de la veille quand mon attention fut captée par un petit quelque chose dans la partie Nord-Est de la galaxie.
L'objet était bien présent sur 3 brutes, et en analysant des images plus anciennes, je le retrouvais très faible 2 jours auparavant.
Bingo la nova !


Pas eu l'occasion de retourner la voir depuis le 14/02. Il a neigé aux Canaries, les télescopes de Slooh sont bloqués.
Le Liverpool Telescope, situé aux Canaries mais manifestement pas bloqué par la neige, en a fait le spectre et posté un ATEL. Il s'agit bien d'une nova classique dans M31, appartenant à la classe FeII.


A peine remis de ces émotions-là, c'est le télescope de Tarot Chili qui allait rapidement me donner un peu de boulot. Le jour de mon anniversaire, je mettais le doigt sur une nouvelle candidate supernova sérieuse. Mais avec juste 2 images en stock, c'était insuffisant pour en être sûr.

Captures audela (en bas), référence DSS en haut à gauche, et image brute Tarot Chili en haut à droite
C'est au cours de la nuit suivante, avec 4 images confirmant que l'objet était toujours là au même endroit, que le doute fut levé.
Confirmation de AT 2016ajm (Crédit : Tarot Chili)

L'objet ne semblait pas appartenir à la grosse galaxie du haut (IC1860), mais sans doute à une petite qui se trouve en haut à gauche de l'objet. C'est une galaxie au nom improbable (2dFGRS TGS394Z183) et  un spectre serait un bon moyen de savoir si cette possible supernova appartient à l'amas de galaxies qu'on voit sur l'image.
Ce sera confirmé par PESSTO quelques jours plus tard qui révélera qu'il s'agit d'une SN Ia "peculiar", un type de supernova Ia particulier sous lumineux.
Toutes les infos et le spectre sont disponibles sur le TNS : http://wis-tns.weizmann.ac.il/object/2016ajm

Déjà 2 supernovae Tarot cette année, contre une seule en 2014 et aucune en 2015. L'année commence décidément bien :-)

12 février 2016

Nouvelle supernova avec TAROT

La dernière supernova découverte avec les télescopes TAROT s'appelait SN 2014bz. C'était il y a plus d'un an et demi. Les images des télescopes de Calern et la Silla ont défilé toute l'année 2015 sans jamais rien montrer. Nous avions monté une belle équipe de recherche de supernovae avec TAROT fin 2014, et cette disette en 2015 a eu raison de la patience de beaucoup de monde.
Et puis au soir du 10 Février 2016, j'ai noté un petit quelque chose dans la galaxie MCG-01-37-007, une petite spirale barrée dans la constellation de la Vierge.


La trace n'est pas particulièrement nette, et pourrait aisément être prise pour un artefact. Mais en allant analyser les images brutes sur le server, j'ai une trace nette, une trace pas nette, et une absence de trace sur les 3 images disponibles. La troisième étant de mauvaise qualité, il me reste en fait 2 images intéressantes.
Ce n'est pas suffisant pour déclarer une découverte. Il faut une image avec un autre télescope. Les télescopes Slooh aux Canaries ne sont pas disponibles. Que faire ? Attendre 36 heures de plus ?
Il faut pourtant se dépêcher car la Vierge est une constellation particulièrement scrutée par les chasseurs de supernovae. Sa haute densité en galaxies permet d'en observer beaucoup en peu d'images.
Il est alors 0h20 le 11 Février et je me décide à contacter François Kugel car sur l'animation du satellite météo, il semblait faire beau chez lui. Il m'avait filé un bon coup de main sur SN 2015ar. Mais il était quand même un peu tard :-)
Je pars me coucher et au petit matin, je m'aperçois que François a répondu à ma demande et a obtenu une image sur laquelle on voit nettement la candidate.

Image transmise par François
Image de référence issue du DSS

C'est très agréable de se réveiller le matin avec de bonnes nouvelles comme celle-là :-)
Un petit tour sur le Transient Name Server de l'UAI pour vérifier que personne ne l'avait déclarée pendant que je dormais, et je me suis lancé dans la soumission de mon premier rapport de découverte sur leur nouvelle interface. C'est plus complexe qu'avant, mais aussi plus complet. C'est donc un peu plus long à soumettre. 
La possible supernova AT 2016adr était née ! Son formulaire de déclaration est ICI.
Au passage, j'en ai profité pour changer le nom de la galaxie, en préférant sa dénomination dans le catalogue PGC, plus commun que le MCG. La possible supernova est donc dans la galaxie PGC 51765.

Le matin du 12 Février, une image (de mauvaise qualité) en provenance des Canaries me montrait que je n'avais pas eu la berlue. Elle est toujours là :-)
Plus qu'à attendre un spectre pour transformer AT 2016adr en SN 2016adr !


27 janvier 2016

Collaboration amateurs/pros pour la découverte d'une exoplanète


L'appel


Le 4 Janvier dernier, je recevais (avec d'autres) un message d'Alexandre Santerne, astronome français spécialisé dans les exoplanètes, invitant toutes les personnes intéressées à l'aider à observer une nouvelle exoplanète. L'objet n'ayant pas encore été découvert, il s'agissait ici de le caractériser pour annoncer cette découverte. Alexandre présentait donc les caractéristiques de l'objet :


Nous avons détecté une nouvelle planète parmi les étoiles observées par la mission K2. C'est un jupiter chaud très facile à observer depuis le sol (profondeur 20mmag) et autour d'une étoile brillante (V=12.4). De plus, elle est parfaitement visible en ce moment (proche des pléiades) depuis l'hémisphère Nord.


Une profondeur de 20mmag sur une étoile de magnitude 12.4, je me suis dit "Chouette alors !". J'ai déjà fait quelque chose de semblable. C'est un poil plus compliqué ici, mais pas tant que ça.
Quand Alexandre dit "très facile à observer depuis le sol", c'est très facile par rapport à toutes les autres exoplanètes. Des télescopes de 200mm suffisent ici pour attraper le transit.

Le prochain transit observable en Europe aura lieu la nuit du vendredi 15 janvier. Il est nécessaire d'observer toute la nuit jusqu'à 1hUT environ.


Oh joie ! Une soirée d'observation et pas de boulot le lendemain !

Si vous êtes intéressés et disponibles, merci de me contacter

Toutes les conditions étaient réunies pour que je tente l'expérience. En plus, avec toutes les améliorations qu'on avait apportées à l'observatoire de Géotopia, c'était l'occasion idéale de tester tout ça.

A noter ici la démarche tout à fait intéressante d'Alexandre, modèle de ce qui peut se faire en collaboration amateurs/professionnels en astronomie.
Ne pouvant réaliser seul les mesures qui lui auraient permis de déclarer sa découverte très rapidement, il s'adresse directement à un ensemble de personnes dont la majorité sont amateurs. Il ne tape pas complètement au hasard. Il sait que dans le lot qu'il adresse, il y a de nombreuses personnes qui sont capables de réaliser cette mesure. Mais il ne les connait pas toutes.
Et ce jour-là, un peu plus d'une vingtaine de volontaires se manifestent. 
Il n'hésite ensuite pas à partager avec les volontaires ce qui est, au moment des faits, un secret : les coordonnées de l'étoile et la date supposée du transit de l'exoplanète. A partir de là, nous formons une équipe et nous avons une mission pour laquelle il faut se préparer.

Les préparatifs



Champ autour de l'étoile cible, avec son compagnon très proche

La semaine précédant le transit, je passe donc du temps à l'observatoire pour repérer le champ de l'étoile hôte, faire des tests de temps de pose et de filtre. L'étoile visée a un compagnon très serré. Idéalement il faudrait séparer les 2 étoiles pour la photométrie. Possible ? Quel temps de pose acceptable pour que le compagnon ne parasite pas l'étoile cible ?
Je comprends à cette occasion que le filtre rouge de la caméra de l'observatoire ne me permettra pas de faire des mesures assez précises. Il est très loin du "Sloan r" recommandé, et filtre beaucoup trop cette bande spectrale. Je ferai donc mes poses avec le filtre clair.
C'est à cette occasion également que je me rends compte qu'il y aura un retournement de monture pendant la séance d'acquisition. La dernière fois que j'avais subi un retournement pendant un transit exoplanétaire, ça m'avait valu un beau trou dans ma courbe. Il fallait donc s'y préparer mieux cette fois-ci.



Le jour J


Le Vendredi 15 Janvier, tout l'après-midi j'ai scruté les animations météo et les prévisions du soir. Les différents sites étaient mitigés pour le Nord-Pas de Calais. Un flux de Nord apportant des averses de neiges sur pas mal de régions était en action. Et la limite beau temps/averses traversait la région. Il fallait absolument que ça passe le plus à l'Est possible.

Dès 17h30, des messages tombent dans la boîte mail. L'équipe d'amateurs se met en place :

J'espere que vous avez une bonne météo, ici à Nice c'est pour l'instant c'est parfait avec une humidité faible qui j'espere va durer


Pas mal de mise au point pour la manip cette semaine, mais actuellement, il neige sur la Drôme nord.

Dans le Tarn actuellement le ciel et clair, mais les prévisions sont défavorables, avec un peu de chance ... faible humidité, vent fort 45-50 Km/h


Pour ma part, à 18h00, j'étais mitigé :

Très couvert pour l'instant dans le Nord. Certains sites météo m'annoncent des éclaircies à venir, d'autres non. Dans le doute, je prépare tout comme s'il allait faire beau. On verra bien.

Et le miracle survint !
Les nuages sont restés cantonnés à l'Est de la région. Je les voyais de chez moi à l'horizon, apportant même de la neige à 50km de l'observatoire, mais jamais ils n'ont été en mesure de parasiter cette belle soirée.
Nous savions que le transit pourrait avoir un peu d'avance sur les éphémérides partiels d'Alexandre. Et ce fut le cas. Je n'ai pas été en mesure de mesurer le début du transit malgré un nouveau record de vitesse d'installation du matériel. Merci les préparatifs des jours précédents :-)

Les acquisitions se passent bien. Je scrute attentivement chaque image. La série est bonne. J'attend le retournement de monture. Sachant qu'il ne se déclenche pas toujours tout seul, je décide de le provoquer. Hop, ni une, ni deux, réorientation de la coupole, recadrage de l'étoile cible parce qu'elle n'était plus au centre, et c'était reparti pour la suite. Je n'ai presque pas perdu de temps.
Ca roulait tellement bien que j'ai même laissé le système tourner tout seul pour aller saluer mes comparses du club astro qui étaient réunis pas loin de là depuis 21h.
En revenant à l'observatoire, tout allait bien... Certains jours, Murphy n'est pas sur mon dos.

Et vers minuit, les emails des autres observateurs recommencent à tomber :

Ici, le temps a été de la partie et je vais commencer le dépouillement. Je vous tiens au courant dans la nuit

Du côté de Buthiers 77 (TJMS) une nuit bien dégagée et une confirmation d'un transit qui a commencé plus tôt que prévu

Pas d'observation possible du coté de l'Alsace, nuages et neige au rendez-vous malheureusement.Bravo à ceux qui ont eux la chance d'observer ce transit, encore une preuve que les amateurs ont leur rôle à jouer dans la recherche scientifique !

C'est sympa de voir tous ces résultats ! Au Pic du Midi il a fait 17° et un vent jusqu'à 100Km/h...C'est la première fois que je vois autant d'observateurs sur un même phénomène, bravo à Alexandre pour l'organisation.

Je disais que Murphy m'avait évité ... c'est pas faux, mais il fallait quand même que tout ne tourne pas complètement rond. Pendant la séance d'acquisition, je me suis rendu compte que j'avais oublié ma clé USB pour ramener les images chez moi. Pas moyen de faire le dépouillement des données sur place, il me fallait donc un support pour ramener 3 Go de données à la maison. C'est moche de déployer autant de technologie pour observer une exoplanète et de se retrouver couillon à ne pas pouvoir traiter les données à cause d'une clé USB manquante :-)
J'ai finalement été secouru par Jean-Luc du club astro et après une nuit courte et une matinée (longue) à regarder mon aîné participer à un tournoi de foot, j'ai pu dépouiller mes données.

Voici la courbe qui en est sortie :


Comme prévu il manque le début du transit vers 20h15 locale (l'heure sur le graphique est en Temps Universel), mais le transit et la remontée sont bien là. La marge d'erreur sur les mesures de magnitude était voisine de 1.8 milli-magnitude, ce qui est bien suffisant pour montrer le transit.
J'ai transmis mes données à Alexandre qui a compilé tout ce qu'il avait pour sortir, ce 29 Janvier, le brouillon de sa publication sur ArXiv. Le brouillon est rendu public en même temps que la soumission à un journal à comité de lecture. Ici c'est the Astrophysical Journal.
Ainsi, tout le monde est capable de critiquer le travail effectué et de participer à l'amélioration du rapport si nécessaire.
Les participants à cette campagne, tous coauteurs de la publication, ont déjà eu l'occasion de s'exprimer sur ce papier, ce qui a permis de l'améliorer une première fois avant sa soumission. Ici encore, les professionnels partagent sans problème leurs avancées, leurs critiques, leurs interrogations et leurs conclusions avec les amateurs qui sont dans la boucle. L'impression de faire partie d'une équipe est totale.

Dans cette publication, Alexandre présente les données collectées sur cette nouvelle exoplanète, nommée EPIC211089792 b :
- son rayon : 1.19 fois celui de Jupiter
- sa période de révolution autour de son étoile : 3.25 jours
- sa masse : 3 quarts de celle de Jupiter
- ...
et toute la démarche qui a conduit à l'obtention de ces résultats. Car au final, autant que le résultat, la démarche va être examinée par les relecteurs.

Les courbes des amateurs sont compilées dans le graphique ci-contre. Des fortunes diverses en fonction de la météo, mais le fait que nous étions bien répartis sur le territoire français a grandement aidé à s'affranchir des conditions météo très incertaines ce soir-là. Il y avait également un italien et un portugais.

Les résultats sont à la mesure des attentes. Pour une science qui n'existe que depuis 20 ans, être aujourd'hui à la portée de beaucoup d'amateurs est quelque chose de formidable. Ce beau succès risque fort d'amener d'autres collaborations de ce genre.

La courbe en haut à gauche est celle du satellite Kepler. Elle souffre moins que les autres des turbulences atmosphériques. Mais dans l'espace, c'est un peu normal ;-)
La seconde, en haut au milieu, est celle du programme de recherche d'exoplanètes super-WASP. La planète était présente dans leurs données, mais ils sont passés à côté de la découverte.

Finalement tout le monde a été très content de cette collaboration. Et l'observatoire de Géotopia participe ici à sa première vraie campagne scientifique, aux côtés de grands observatoires et observateurs français. Vivement la prochaine !
Il faut encore que je lui obtienne un code UAI et il sera totalement opérationnel pour faire de la Science !