8 avril 2020

Cache-cache avec les astéroïdes

Exemple de résultat que l'on peut obtenir
avec l'observation d'une occultation astéroïdale



Il y a tout un tas d'astéroïdes qui se baladent en permanence dans l'espace, et que l'on peut observer au travers de nos télescopes. J'en ai mis quelques-uns sur mon blog ici, mais il pourrait y en avoir tout plein d'autres.
En se baladant dans le ciel, il arrive que des astéroïdes passent pile poil (mais alors piiiiiiile poil) entre nous et une étoile en arrière plan. Dans ce cas-là, on observe ce qu'on appelle une occultation.
Si l'astéroïde est beaucoup moins brillant que l'étoile, on voit carrément l'étoile disparaître pendant une fraction de secondes.

Avec la Lune, ça arrive tout le temps, puisque sa taille apparente dans le ciel est assez conséquente. Mais les astéroïdes ont une taille apparente touuuuuute petite, et les étoiles également, si pas davantage.

Ce 05 Avril, j'en avais épinglé deux sur mon agenda : (1719) Jens et (3259) Brownlee.

(1719) Jens


Cet astéroïde de la ceinture principale occultait une étoile de la constellation du Corbeau un peu après minuit. La bande de totalité de l'occultation est présentée ci-dessous. A cette échelle, on ne voit pas bien les incertitudes de position du passage de l'ombre de (1719) Jens. Mon domicile était dans ce qu'on appelle "la zone à 1 sigma", une zone dans laquelle la probabilité de voir l'éclipse est de 66.67%.


L'étoile visée, nommée HIP 62183, est une petite étoile de magnitude 9 à proximité de l'étoile Bêta Corvi (la grosse qui brille ci-dessous) :


Matériel utilisé :

  • PC sous Windows 10 ;
  • Logiciel Meinberg NTP pour la synchronisation du temps ;
  • Télescope Célestron omni XLT 150/750 ;
  • Caméra ZWO ASI 120MM pour la prise de vue en vidéo, poses de 100ms ;
  • Logiciel SharpCap v3.2 pour la capture des images de la caméra + incrustation du temps sur les images ;
  • Logiciel OccultWatcher v4.6.0.6 pour les prévisions et la synchro avec les autres observateurs ;
  • Logiciel Tangra v3.6 pour le traitement des résultats.
Durée maximale de l'éclipse si je suis en plein centre de la bande d'occultation : 1.3 seconde.

A noter que dans le Journal for Occultation Astronomy sorti hier, les tests sur différents logiciels de synchronisation temporelle des PCs donnent un avantage certain à Meinberg NTP sous Windows 10. Tous les détails sont dans l'article, à partir de la page 10.

Le logiciel Tangra permet, en choisissant l'étoile occultée (cyan), et des étoiles de comparaison (vert, jaune, rose), de parcourir l'ensemble des images de la vidéo pour en extraire une courbe photométrique.


Et la courbe a donné ceci :


Pendant les 4 minutes d'observation centrées sur l'heure prévue d'occultation (22h33m53s UT dans mon cas), la courbe cyan reste plate, au bruit près. A aucun moment l'étoile ne disparaît. Ce qui permet de dire que l'astéroïde n'est pas passé devant l'étoile.
Sur les 16 observateurs européens déclarés pour cette observation, un seul a remonté une observation positive pour l'instant. L'astéroïde a bien été "attrapé", c'est là l'essentiel.
Ne pas oublier que dans ce domaine, ne pas observer d'occultation est une information importante. Cela permet de contraindre la position réelle de l'astéroïde dans le ciel. Ce n'est donc pas une mauvaise nouvelle en soi.

Petite note supplémentaire : pourquoi ai-je observé 2 minutes avant l'heure prévue et 2 minutes après alors que l'erreur donnée sur la date d'occultation était de 4 secondes ?
Sur ce genre d'observation, observer en avance et en retard permet d'attraper des "lunes" d'astéroïdes, ou encore mieux, des anneaux (comme dans le cas de Chariklo ou Hauméa). Si ils existent et que la configuration spatiale le permet, ils seront observés un peu avant ou un peu après le passage de l'astéroïde. C'est donc une précaution qu'il vaut mieux prendre. Ca ne coûte pas grand chose, et ça peut rapporter gros.


(3259) Brownlee

Un peu plus tard dans la nuit, un autre astéroïde allait passer devant une étoile, cette fois-ci un poil moins brillante (magnitude 10), dans la constellation du Petit Chien et près de l'étoile Procyon.
La zone de visibilité de l'occultation était une bande partant des Etats-Unis (mais en pleine journée), traversant le Canada et le Québec (observation possible en début de nuit) et à l'extrême Ouest de l'Europe.
Dans cette configuration, l'étoile visée se trouvait à moins de 10 degrés de hauteur dans le ciel, rendant l'observation délicate à cause de la forte masse d'air.




L'étoile visée, nommée TYC 176-00688-1, est une petite étoile de magnitude 10 à proximité de l'étoile Procyon (la grosse qui brille ci-dessous) :


Matériel utilisé : le même que précédemment, avec des poses de 150ms.
Durée maximale de l'éclipse si je suis en plein centre de la bande d'occultation : 1.9 seconde.

Pour la réduction photométrique dans Tangra, j'ai utilisé comme référence les deux étoiles les plus brillantes de mon champ. Mais mon étoile cible, avec des poses de 150ms ne présentait pas beaucoup de signal. J'aurais dû poser un poil plus, au détriment de l'échantillonnage temporel certes, mais ça aurait été mieux.


Et la courbe a donné ceci :


L'étoile cible est toujours représentée par la courbe cyan, et ne montre pas d'éclipse. Comme dans le cas précédent, c'est une information utile à remonter aux astronomes relais des observations d'occultations en Europe.


18 observateurs se sont déclarés pour l'observation de l'occultation par (1719) Jens entre le Royaume-Uni et l'Adriatique, et 3 observateurs seulement pour l'observation de l'occultation par (3259) Brownlee. Aucun observateur de l'autre côté de l'Atlantique pour cette dernière.


Les résultats finaux correspondant aux observations positives et négatives de tous les observateurs arriveront dans les prochains jours, quand toutes les observations auront été collectées.

Au final, à cette partie de cache-cache, cette fois-ci ce sont les astéroïdes qui ont gagné ;-)

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