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Vue d'artiste d'un couple d'étoiles qui ressemble à notre découverte (c) ESO/L. Calçada |
Pour résumer
l'épisode précédent, j'avais passé le Lundi 08 Octobre avec Stéphane Ferrafiat à observer le transit de l'exoplanète
HAT-P-37b depuis un T500 à l'observatoire astronomique de St-Véran.
Et suite à la vérification, via l'outil
Muniwin, de l'ensemble des images, nous avons trouvé un objet dont la variation d'éclat est notable, et que nous ne connaissions pas. Voici sa courbe de lumière lors de la première nuit (intensité lumineuse en fonction du temps) :
Nous ne connaissons pas cet objet variable, mais il se pourrait que d'autres le connaissent. Après tout, avec des centaines de milliers d'étoiles variables recensées, on ne peut pas se targuer de les connaître toutes.
Première destination : la base de données de
l'AAVSO (American Association of Variable Stars Observers), qui est la plus grande source de recueil de données photométriques sur les étoiles variables. Cette base de données s'appelle le
VSX (
Variable Star Index) et recense pas loin de 550 000 étoiles variables connues actuellement.
Sur
le formulaire de recherche de variables connues, on saisit les coordonnées célestes d'un objet et il nous indique tout ce qu'il trouve autour. Et dans notre cas rien de connu à cet endroit.
Ce site, en tchèque, recense aussi des étoiles variables qui ne sont pas toutes sur le VSX. Une p'tite recherche dans leurs tables et non, notre possible variable n'est pas connue chez eux.
Il y a enfin
l'observatoire de Genève, qui recense des étoiles variables que les astronomes amateurs découvrent quand ils font du suivi d'astéroïdes. Ces étoiles variables n'ont souvent que des bouts de courbes connus, ce qui ne permet pas encore leur caractérisation et l'annonce de leur découverte. Mais ça indique au moins qu'elles ont déjà été repérées. Une p'tite recherche là-bas et non, toujours rien concernant notre possible variable.
Manifestement, notre étoile variable est inconnue au bataillon. En tous cas en tant que variable. Sinon elle a bien sûr déjà un nom dans un certain nombre de catalogue :
2MASS J18560629+5126237,
GSC2.3 N10D010144,
UCAC4 708-062626 ou bien encore
Gaia DR2 2133963473207741952
Sa magnitude est autour de 15.3 (en fonction du catalogue) et elle se trouve dans la constellation du Dragon.
On pourrait alors se dire "Youpi tralala on a fait une découverte !!"
Mais on en est finalement assez loin. La première chose à faire est de challenger le résultat. Est-il réel ? Est-il crédible ? Dans une démarche scientifique standard, le doute doit être le moteur principal.
Pour être sûr qu'il ne s'agit pas d'un artefact lié, par exemple, à un mauvais prétraitement et/ou des pixels incorrects qui se baladent sur la série d'image, on va regarder la courbe de lumière de toutes les étoiles qui se trouvent dans l'environnement immédiat de la possible variable. Il se trouve qu'elles sont toutes à peu près plates, au bruit près. Donc notre objet est bien le seul à "bouger".
On examine ensuite les images de prétraitement, pour voir si elles ne présentent pas des irrégularités notables dans la zone où se trouve l'étoile visée. Rien à signaler de ce côté.
Ensuite, plusieurs remarques à la lecture de cette courbe :
- la variation est très largement supérieure aux barres d'erreurs des mesures, donc on est en présence d'une vraie variation, pas d'une interprétation visuelle sur la base de données bruitées
- la courbe semble symétrique, ce qui pourrait laisser croire qu'il s'agit d'une éclipse
- la courbure des extrémités de la courbe laisse penser qu'il y a un maximum vers la magnitude 15.2, et qu'il se produit un peu avant le début des mesures, et un peu après aussi.
Autre analyse à brûle-pourpoint : la magnitude de cette étoile supposée variable se baladerait entre 15.2 et 15.7 (à la louche). Est-ce crédible de faire une telle découverte ? Avec les récents
surveys du ciel effectués par les professionnels et les astronomes amateurs, on peut considérer que tout ce qui est plus brillant que Pluton (j'aime cette comparaison) a été découvert. A cette magnitude, le ciel est scanné et rescanné par tout le monde depuis longtemps. Alors les variables à forte amplitude sont déjà toutes trouvées. Notamment par le survey ASAS-SN qui a déclaré récemment 64000 nouvelles étoiles variables sur la base de 4 années d'observations assidues du ciel (
leur papier ici). La majeure partie des variables à éclipses qu'ils ont découvertes étaient plus brillantes que la magnitude 15. Donc ils auraient pu passer à côté de celle-ci. Ce n'est pas invraisemblable.
Bon tout ça, ce ne sont que des suppositions. La seule chose sûre à ce stade, c'est qu'il faut refaire des mesures pour caractériser cette étoile.
On peut aussi tenter d'imaginer ce que serait la courbe si on la prolongeait. Une solution au problème pourrait être celle-ci :
En jouant à cela, on peut imaginer que si la période de variabilité est courte, alors elle se situe quelque part entre 0.1 jour et 0.4 jour.
Au soir du 08 Octobre, nous n'avons pas assez de données pour trancher sur la variabilité de notre étoile. Et même aucune certitude sur le type d'étoile variable. Mais des idées oui.
Par contre, il existe plusieurs
surveys professionnels qui ont rendu leurs données publiques et que l'on peut utiliser si on veut agrandir le nombre de points de mesures disponibles, sans avoir besoin de sortir le télescope.
Si notre étoile est variable, alors ça doit se voir sur les images prises par les surveys
ASAS-SN,
CRTS,
superWASP.
Dans le cas qui nous concerne ici, seul ASAS-SN a déjà observé l'étoile que nous visons. Et pendant un peu plus de 4 ans. On peut donc disposer de plein de données en allant sur le site
https://asas-sn.osu.edu/https://asas-sn.osu.edu/, en sélectionnant les coordonnées de notre étoile et une période de 4 ans. Les données fournies par
ASAS-SN sont téléchargeables au format CSV, et on peut les intégrer dans le
logiciel VStar (moyennant quelques suppressions de colonnes de données). Ce qui donnera le graphique ci-dessous :
Chaque point de cette courbe correspond à une mesure photométrique du survey
ASAS-SN sur notre étoile. Les données sont très dispersées, et séparées de plusieurs jours les unes des autres. On ne saura donc pas voir directement des variations d'éclat sur des intervalles de quelques dizaines de minutes.
Mais
VStar possède une fonctionnalité fort sympathique : A partir d'un nuage de points en apparence non périodique, il sait retrouver les éventuelles périodes de variation.
On pourrait donc retrouver la période de variation de notre étoile dans les données d'
ASAS-SN, pourvu que cette période soit constante dans le temps.
Pour cela il y a une petite icône dans
VStar (encadrée ci-dessous) qui propose de chercher toutes les périodes possibles entre 2 bornes. Une borne minimale nommée "Low period", exprimée en jours, et une borne maximale nommée "High period" exprimée elle aussi en jours. Enfin, on propose à
VStar d'utiliser un pas de recherche. Dans l'exemple ci-dessous,
VStar va analyser toutes les périodes entre 0.1 jour et 0.4 jour, par pas de 0.00001 jour. Il testera donc 0.1 jour, 0.100001 jour, 0.100002 jour, ... 0.39999 jour, 0.4 jour. Et pour chaque période testée, il associera un score qui dira grosso modo à quel point cette valeur peut être une période valable de l'étoile.
Le résultat de la recherche automatique de période est un graphique qui présente en abscisse toutes les périodes examinées par le programme, et en ordonnées une puissance. Plus cette puissance est haute, plus grande est la probabilité que la période associée soit une période de la série de données.
Ici le maximum est obtenu pour la valeur P=0.157309 jours. Pour autant, les autres pics ne sont pas en reste et pourraient convenir. La meilleure période trouvée par le logiciel n'est pas forcément la bonne. Toutefois elle doit se trouver dans le groupe de tête.
On peut donc sélectionner chaque pic sur la courbe, puis cliquer sur le bouton "New phase plot", et le logiciel va réorganiser tous les points en prenant en compte la période choisie.
Quand on examine chacune des périodes possibles (illustration ci-dessous), on se rend compte que les points s'organisent pour former des espèces de sinusoïdes.
Ce sont donc bien des périodes qui pourraient correspondre à une vraie variation de l'étoile.
La dispersion des points est assez importante, mais on reconnaît tout de même assez bien la forme.
Par comparaison, j'ai choisi en bas à droite de l'illustration une période fictive de 0.22803 jours, très proche d'une vraie valeur possible (0.22966 jours) et on se rend compte que les points ne s'organisent pas du tout comme pour les autres valeurs.
Le logiciel
VStar nous offre donc des périodes candidates, qu'il faudra faire valider avec davantage de mesures. Les données d'
ASAS-SN seules ne permettent pas de trancher.
Nous connaissons la date du minimum photométrique du Lundi 08 Octobre. Si nous observons un autre minimum le 09 Octobre, alors nous pourrons supprimer un certain nombre de périodes candidates. En effet, entre 2 minimums observés se déroulent un nombre entier de périodes. Si nous constatons une durée D1 entre 2 minimums observés, alors la période vaut au choix D1/2, D1/3, D1/4, D1/5, ...
Et bingo, le 09 Octobre, nous observons un second minimum photométrique. Les 2 journées d'observations sont cumulées dans le graphe ci-dessous. Elle est bien variable notre étoile, vraiment pas de doute.
On mesure d1 = 2458400.42 et d2 = 2458401.37 (à l'oeil, et en jours juliens) pour les moments de deux minima observés. Le plateau photométrique au niveau des minima rend compliquée la mesure exacte d'un minimum.
La différence d2-d1 vaut donc 0.95 jours. S'il s'est passé N périodes au cours de ces 0.95 jours, quelle est la valeur de la période de la variable ?
N périodes écoulées
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Période associée (en jours)
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Période candidate qui pourrait correspondre
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3
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0.31667
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aucune
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4
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0.2375
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aucune
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5
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0.19
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0.18677
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6
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0.15833
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0.157309
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7
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0.13571
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0.13588
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8
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0.11875
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0.11962
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9
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0.10556
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0.10681
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Avec une soirée d'observation supplémentaire, on a restreint les périodes possibles à 5 candidates. Le bruit dans les mesures ne permet pas encore d'être plus précis. Mais plus on espacera les observations, puis les périodes incompatibles vont se voir.
Avec Stéphane nous avons pu obtenir encore quelques données à St-Véran, puis nous avons continué chacun de son côté. Moi à l'observatoire de
Géotopia à Mont-Bernenchon, et lui à
l'AAAOV à Vauvenargues et chez lui.
J'avais établi des éphémérides à partir de nos données, afin de confronter la théorie aux observations. Et ça collait vachement bien.
Après les données du 23 Octobre, nous n'avions plus aucun doute sur la période de la variable, et avions couvert plusieurs fois chacune des parties de la courbe. Il se produisait un minimum photométrique tous les 0.157109 jours, ce qui fait environ toutes les 3h 46m 14s.
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Courbe des mesures ASAS-SN rapportées à une période de 0.157109 jours |
Bon... maintenant qu'on tient notre période, on y va pour l'annonce ?
Pas encore ! Il reste encore un énorme biais à supprimer : le logiciel
VStar est bête ... si si :-)
VStar se contente de dessiner des points dans un graphe, et n'a pas la moindre idée de ce qu'est une étoile variable.
Depuis le premier jour, j'avais l'impression que nous étions face à une étoile variable de type EW grâce à la forme de la première courbe. Ça ne constituait pas une preuve, mais les données des jours suivants sont venus renforcer cette idée. Et à la fin c'était sûr.
Une étoile variable de type EW est en fait une paire d'étoiles, de tailles et températures comparables, qui tournent si près l'une de l'autre qu'elles se touchent presque. Et elles tournent l'une autour de l'autre en quelques heures seulement.
Quand on a 2 étoiles qui se tournent l'une autour de l'autre, on observe 2 minima et 2 maxima sur une période. Mais ici les 2 minima photométriques sont quasiment égaux, et les 2 maxima également.
Donc en fait, le logiciel
VStar se plantait, et ne détectait qu'une demi-période, car la seconde demi-période est trèèèès semblable à la première.
Il est possible de simuler la courbe de lumière d'une étoile variable de type EW via le site suivant :
http://astro.unl.edu/naap/ebs/animations/ebs.html (Il faut activer Flash).
En reprenant pour chaque étoile les valeurs que j'ai mises dans la capture ci-dessous pour les rayons-températures-masses, on peut voir la forme de la courbe de lumière s'adapter en haut à droite, et si on fait tourner les étoiles avec le bouton "Start animation", on voit alors comment la rotation de 2 étoiles nous mène à la courbe de lumière que nous avons observée.
Ainsi, la vraie période de notre étoile variable n'est pas celle que
VStar a calculée, mais son double : 0.314618 jours.
Sur les données d'
ASAS-SN, cette nouvelle valeur donne le graphe ci-dessous.
Et si on y rajoute nos propres observations, ça donne le graphe ci-dessous :
Chaque point de la courbe est une astrophoto que nous avons réalisée (sauf les petits points bleus qui appartiennent à
ASAS-SN. Il y a en tout 700 images prises par Stéphane et moi-même pour réussir à couvrir 2 fois chacune des phases de la courbe (période doublée). Il nous a fallu 8 nuits pour y arriver.
L'image en bas à droite correspond au champ d'étoiles autour de notre étoile variable. Celle-ci est en avant plan d'une galaxie, et il a fallu ruser avec nos cercles photométriques pour ne pas inclure la galaxie dans nos mesures, ou le moins possible.
A ce moment-là, quand on a :
- un diagramme de phase où toutes les phases sont observées au moins 2 fois
- des données pro qui corroborent nos observations
- une période établie à la seconde près
- des maxima et minima photométriques bien définis
- un typage non ambigu de la variable
...alors on peut se lancer dans la soumission de la découverte. Au passage, j'ai revérifié si entre temps elle n'avait pas été annoncée par quelqu'un d'autre.
Reste ensuite à suivre toutes les consignes du VSX pour soumettre correctement une étoile variable (elles sont nombreuses et sont visibles
ici) sur
leur site.
Après quelques échanges avec les administrateurs de la base, notre étoile a été acceptée et sa fiche technique est désormais disponible
ICI.
Notre étoile variable est donc double. Depuis la Terre, même avec les plus gros télescopes on ne voit qu'une seule étoile à son emplacement car les deux étoiles du couple sont extrêmement serrées.
Un suivi spectroscopique est prévu par une équipe d'amateurs que nous avons rencontrés aux Rencontres du Ciel et de l'Espace début Novembre. Des "collègues" qui ont eu vent de notre découverte, et qui se sont proposés pour compléter l'étude de cette étoile. Ce sera l'occasion de refaire de la science dans pas très longtemps.